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Vous pouvez, après cela, vous représenter le dialogue qui s’échange, dans le petit bureau, entre l’agent lyrique et l’« ouvrière sans ouvrage » séduite par le « travail facile et lucratif. »

— Vous n’avez jamais chanté, mademoiselle ?

— Non, jamais.

— Cane fait rien... Mais est-ce tout ce que vous avez comme robe, bas, chapeau, bottines ?

— Oui, c’est tout.

— C’est bien... Allez, de ma part, voir Mme Z...

Et l’agent lyrique envoie d’abord la personne chez la revendeuse, la fait ensuite « dégrossir, » puis, quelques jours plus tard :

— Eh bien ! mademoiselle, vous avez votre robe ?

— Oui.

— Vos bottines, vos bas, votre chapeau ?

— Oui, monsieur.

— C’est bien, voici votre contrat : engagement de quinze jours, à X..., à six francs par soirée... Obligation de loger, de prendre pension, de quêter pour la maison, de souper, et interdiction de sortir de la ville, ou d’entrer, pour y consommer, dans d’autres établissemens... Maintenant, vous connaissez les conditions du placement : 5 pour 100 pour la France, et 10 pour 100 pour l’étranger. C’est donc, pour X...,5 pour 100, ci : 4 fr. 50. Plus : 60 francs pour effets fournis, ci : 64 francs 50... On vous avance un acompte de 40 francs. Je vous le retiens en déduction de la somme due. Vous ne me devez plus, par conséquent, que 24 fr. 50... On vous les retiendra sur le reste... Allez, partez pour X.... et ne manquez pas, à l’arrivée, d’aller voir le commissaire...

Tel est l’agent qui se dit lyrique !


IV

Après l’agent, qui est l’un des piliers du « beuglant, » voici maintenant le directeur, qui en est l’autre.

Je demandais à un chanteur :

— D’où viennent donc vos directeurs ?

Et il me répondait simplement, avec un geste scandalisé :

— Oh ! monsieur :...

— Enfin, d’où sortent-ils ?

Mais il me répondait toujours, sans vouloir m’en dire davantage :