Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expédie, avec obligation de « quêter, » de « loger, » et de prendre « pension, » aux « concerts du Port, » et aux « concerts du Lion. » Misère, inconduite, abandon, déchéance, acceptation finale de cette déchéance, la fille de café-concert suit cette filière bien connue, et c’est seulement pour elle une forme mal fardée de la vulgaire « traite des blanches. » Elle entre en chantant dans le gouffre, et se le cache seulement à elle-même par le papier de sa chanson.

Aucune artiste-femme ne se rencontre-t-elle donc au « café-concert ? » Si, et le « beuglant » en a même vu plus d’une, mais également par exception, et vous retrouvez aussi nécessairement, dans le troupeau de ses chanteuses, certaines de ces destinées où se montre encore, outre le violent sens dessus-dessous social actuel, la fantaisie qu’est la vie. Thérésa, dans son enfance, avait été « rat, » puis caissière dans un café, puis était devenue Thérésa. On n’a pas oublié non plus la princesse authentique qui, comme le prince viennois à Vienne, faillit s’engager à Paris, dans la troupe des Folies-Bergère. Enfin, d’autres sont femmes de lettres, auteurs, polyglottes Leur littérature les a conduites aux apothéoses en maillot, comme cette fameuse miss Menken qui, avant d’aboutir au cirque, avait débuté par une traduction d’Homère. Plus d’une bachelière et d’une savante échoue ainsi au bastringue, et les épaves du diplôme jonchent toutes les côtes, même celle-là.


III

La première figure que la chanteuse et le chanteur de café-concert trouvent devant eux, à leur entrée dans le métier, est celle de « l’agent lyrique ; » et les « agences lyriques » sont environ cent soixante pour toute la France : une soixantaine à Paris, une dizaine à Marseille, autant à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse, plus une cinquantaine d’autres réparties dans trente ou quarante petites villes.

Ces « agences, » ou « offices, » sont exactement des bureaux de placement, semblables de tout point à ceux des domestiques et des professeurs. C’est, à la lettre, le même genre d’intermédiaires, et presque le même aspect : escalier piétiné et sale, porte dont on tourne le bouton en faisant résonner un timbre, petit bureau borgne où vous reçoit un placeur à physionomie de bureaucrate