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des Chinois, minces, sales, coiffés de leurs inévitables toques à oreillettes velues. Enfin, vers le soir, nous franchissons, sur un pont métallique long d’un kilomètre, la rivière Soungari, et nous faisons halle au milieu d’une grande gare en construction. Il nous faut, à la suite des Chinois chargés de nos bagages, nous glisser sous les wagons de deux trains qui barrent la sortie, pour gagner enfin des fiacres découverts qui se trouvent là à point nommé. Une lieue et demie encore à parcourir dans la nuit glacée, et nous arrivons à Vieux Kharbine, au centre même de la Mandchourie russe.


Kharbine est le nom provisoire donné à l’emplacement acheté par les Russes pour y construire une ville au centre même du Mandchourien, et au point où la ligne de Vladivostok se détache de celle de Port-Arthur. Il y a ici trois centres encore distincts, mais qui, sans aucun doute, ne tarderont pas à se fondre : le Port (Pristane), vaste agglomération russo-chinoise étalée au bord de la rivière ; puis Soungari, le noyau administratif de la ville future, comprenant la gare, ses dépendances, l’hôpital et les bâtimens des futurs services administratifs ; enfin, Vieux Kharbine (première station de la ligne de Vladivostok), où provisoirement réside toute l’administration civile et militaire. Tout est provisoire dans cette bourgade construite en grande hâte auprès d’un village chinois. Les maisons, sauf deux ou trois, sont bâties à la chinoise, en torchis léger, et l’on s’y trouve en général assez à l’étroit. Les rues sont propres, et l’on y voit déjà des enseignes superbes : c’est par l’enseigne qu’un marchand russe commence à asseoir son crédit

Kharbine est une sorte de camp » ment de célibataires : bien peu de fonctionnaires ont consenti à exposer leur famille aux hasards de la vie dans cette contrée. Où que l’on aille, par les rues enneigées, on n’aperçoit que des employés civils en casquette ou en pelisse d’uniforme, des officiers, des soldats, et surtout des Chinois. Ceux-ci foisonnent partout, et pour la première fois, depuis la frontière, j’ai l’impression nette d’être dans leur pays. Voici d’abord des soldats : ils constituent l’escorte du Dzène-Dzioune ou gouverneur général de Guirine, qui est venu faire visite au ministre adjoint des Finances russes, M. P. Romanov, qui se trouve ici en tournée d’inspection. Proprement tenus, en tunique rouge le plus souvent, la tête couverte d’une calotte