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d’autres au Simplon, les dirigent. Justement, c’est un contremaître italien des environs de Turin qui nous prépare nos lampes et qui nous guide dans la galerie creusée : comme il ne sait pas le russe, c’est en français qu’il s’entretient avec son ingénieur. Au bout de la galerie, les perforatrices font un assourdissant vacarme. Dans un incessant mouvement de va-et-vient, elles projettent cinq mandrins qui pénètrent dans le roc peu à peu. Il ne reste plus alors qu’à faire agir la dynamite et à égaliser au maillet les côtés du tunnel. Le creusement s’opère au moyen de deux galeries superposées, dont plus tard on abattra le plafond, avant de terminer la voussure définitive. Les ouvriers italiens travaillent par équipes, les uns six, les autres huit heures, et reçoivent, respectivement 3 et 4 roubles (8 francs et 10 fr. 80) par jour. Le contremaître gagne 600 francs par mois, et me déclare qu’il est satisfait des conditions du travail : « Seulement, ajoute-t-il, il y a un ennui : on n’a pas de vin ; or, sans vin, on n’a pas de forces, n’est-ce pas ! »

De la galerie, je monte à la chambre des machines établie à mi-chemin du col. On eût pu croire que, lors des troubles, les Chinois, maîtres du défilé, détruiraient toutes les machines qu’ils y trouvaient : il n’en fut rien. Ils avaient rempli de poudre certaines pièces creuses ; mais, soit hasard, soit faute de temps, ils omirent d’y mettre le feu.

Un ingénieur des mines me prend ensuite sous sa conduite, me fait endosser des vêtemens de travail et descendre au moyen d’échelles dans l’un des quatre puits qui recoupent le plan du tunnel, fournissant ainsi huit nouveaux fronts d’attaque. Comme à l’orifice visité précédemment, on travaille par deux galeries superposées : or, dans la galerie inférieure, les ouvriers se plaignent de la chaleur, tandis que, dans la supérieure, leurs camarades souffrent du froid qui fait cristalliser au contact des parois la moindre trace de vapeur d’eau. C’est que ces ouvriers se trouvent ici en contact avec cette partie du sol sibéro-chinois qui ne dégèle jamais. Ce gel éternel, comme on l’appelle, a ici une épaisseur de six mètres, et gêne beaucoup le forage à cause de la masse d’eau qu’il dégage en été, lorsqu’on le met en contact avec l’air libre.

C’est pour 1902 qu’on nous promet l’achèvement du tunnel ; à considérer les prodiges de vitesse réalisés tout le long de cette ligne, je ne doute pas que les ingénieurs tiennent parole.