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le général Orlov ait fortement réduit le nombre de ceux qui pourraient faire de semblables réclamations. Quand on a pénétré sous l’arcade de la porte, on est frappé par l’air morne de la rue, qui contraste si fort avec le grouillement de toutes les agglomérations au pays jaune. Dans ces fanzas basses et caduques, suffisantes tout au plus pour des Chinois légers et menus, les grands et gros conquérans ont eu quelque peine à se loger. Ils ont dû en outre, eux qui introduisaient ici la « civilisation, » munir toutes les fenêtres de solides volets et toutes les portes de solides verrous. Aux mauvais fourneaux qui chauffent par-dessous les couchettes chinoises, ils ont substitué des poêles sérieux. Ils n’en grelottent pas moins dans ces abris et ils auraient sans doute bientôt fait de les jeter bas s’ils avaient à proximité du bois de construction. Lorsqu’on pénètre dans la ville, on est étrangement surpris d’apercevoir, au lieu des faces jaunes attendues, de solides Cosaques sibériens occupés à panser leurs chevaux ou bien à fumer en devisant sur le pas des portes. Au front des boutiques, là où l’on s’attend à apercevoir deux ou trois caractères chinois énigmatiques et sobres, on lit avec surprise : Intendance — Hôtel — ou bien tout simplement : Commerce de marchandises. Au centre de la ville, une croix de bois marque la place où doit s’élever l’église orthodoxe. Quant au temple chinois, il dresse à quelque distance de la ville ses pagodes mutilées par les projectiles. Il est en ce moment commis à la garde de l’administration militaire russe qui l’a désaffecté.

La station de Khaïlar est à 4 ou 5 kilomètres de la ville, et, comme partout en Sibérie, le groupement des services du chemin de fer a servi d’embryon à une petite bourgade. Ce sont d’abord les maisons des ingénieurs, reconstruites à la hâte, après la tourmente de l’an dernier ; puis les logemens où s’empilent les autres fonctionnaires employés à la construction. Plus loin, un bureau de poste et télégraphe, primitif et glacé. Çà et là, des campemens provisoires de commerçans et d’ouvriers. A mi-chemin de la gare, près d’un coude de la petite rivière, s’élève un groupe de maisons où j’aperçois un attroupement : des marchands russes ont étalé sur le sol glacé, couvert d’une mince couche de neige, des valenkis (bottes en feutre) blancs agrémentés de rouge, des moufles fourrées, des paletots en peau de mouton, etc. De nombreux Chinois contemplent cet étalage avec un air d’envie qu’expliquent les 40 degrés de froid que