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progressif sur le revenu devait nous ouvrir la porte. Cet impôt aurait été la pire des folies. Il faut rendre à M. le ministre des Finances la justice qu’il n’a rien négligé pour en épargner l’expérience à la Chambre et pour y échapper lui-même. Il a toutefois commencé par déposer, au nom du gouvernement qu’il représente, un projet sur la matière, qui ne valait ni beaucoup plus, ni beaucoup moins que ses devanciers. Les détails en étaient quelquefois ingénieux ; le principe en était détestable. Certainement, il s’en doutait : aussi, à la veille des vacances du mois de juillet, s’est-il arrangé pour écarter et enterrer à la fois tous les projets sur le même objet, sans en excepter le sien. Pour satisfaire une partie de la Chambre et ne pas manquer aux traditions de la majorité sur laquelle il s’appuie, il a dit quelque mal de notre système d’impôts actuel, système admirable et dont M. Ribot a pris justement la défense, perfectible sans aucun doute, mais supérieur à ceux de tous les autres pays, soit qu’on le juge en lui-même, soit qu’on le compare, soit qu’on l’apprécie d’après ses résultats. Il serait difficile d’en imaginer un à la fois plus souple et plus fort. M. Caillaux, après avoir montré comment on pourrait le démolir, a jugé plus sage de n’en rien faire et de chercher ailleurs, c’est-à-dire dans une seule branche de nos revenus, la satisfaction qu’il devrait donner à l’esprit de réforme dont la Chambre était travaillée. Il a choisi les boissons.

Depuis de longues années, la question était à l’étude, ce qui n’était pas, on a pu s’en apercevoir par la suite, une garantie qu’elle eût été bien étudiée. Mais enfin, puisqu’il fallait faire quelque chose, on a fait la réforme des boissons, et M. le ministre des Finances assurait, d’après des calculs qu’il jugeait infaillibles, qu’elle ne coûterait rien. Suivant l’expression usuelle, elle devait se suffire à elle-même, en ce sens que ce qu’on perdait d’un côté, on le regagnait de l’autre. Malheureusement, la première partie des prévisions est la seule qui se soit réalisée ; on a perdu ce qu’on devait perdre, on n’a pas gagné ce qu’on devait gagner. Les boissons dites hygiéniques, et qui comprennent surtout le vin et la bière, ont été largement dégrevées : c’était un sacrifice qu’on disait fait aux intérêts de la santé publique. En revanche, l’alcool, l’alcool insalubre et malsain qui détériore notre race, non seulement dans la génération présente, mais dans les générations futures, l’alcool a été surtaxé. Il devait payer la différence. Il l’a si peu payée qu’il y a eu, de son chef, une moins-value d’une soixantaine de millions dans les recettes de l’année courante. Cela tient à diverses causes, dont la principale est la consécration en droit,