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D’où vient donc que nos budgets sont si mal en point ? Nous parlons de celui de l’année courante et de celui de l’année prochaine. C’est qu’il n’est pas toujours vrai de dire, en matière financière, qu’un pays a le gouvernement qu’il mérite. Un pays peut être riche par ses qualités propres, et le budget peut être pauvre par la faute du gouvernement. Ce dernier cas est le nôtre. Il aurait fallu prévoir que, par une alternance qui a été dans la nature des choses depuis la plus haute antiquité, les vaches grasses sont presque inévitablement suivies des vaches maigres. Nous ne l’avons pas prévu. Comme nous avions des plus-values constantes, et qu’elles corrigeaient ou compensaient l’augmentation de nos dépenses, nous nous sommes habitués à croire que nous en aurions toujours, et nous avons largement tiré, suivant l’expression de M. Ribot, des lettres de change sur ces plus-values de l’avenir, que nous regardions comme certaines, et qui ne l’étaient pas. Le moment devait venir où elles manqueraient. Sans être prophète, on pouvait pressentir que l’année qui suivrait l’Exposition universelle serait particulièrement exposée aux accidens de ce genre : et en effet cela était annoncé. Nous n’en avons pourtant pas tenu compte, et cette année qui devait être si délicate, si difficile, si troublée au point de vue économique, nous l’avons choisie pour servir de champ d’expérience à un certain nombre de réformes financières dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles avaient été insuffisamment étudiées et préparées. Peut-être le gouvernement a-t-il compris le danger. M. Caillaux, malgré son optimisme officiel, est trop intelligent pour n’avoir pas eu quelques appréhensions : à supposer qu’il les ait dissipées chez les autres, nous espérons qu’il les a conservées lui-même. Lorsqu’il a fait, par exemple, la réforme des boissons, il a dû éprouver sur ses conséquences plus d’inquiétudes qu’il n’en a manifestées. Mais, dit-on, les réformes s’imposaient ! La Chambre en avait annoncé un si grand nombre au pays qu’elle s’était condamnée à en réaliser au moins quelques-unes. Il n’y a rien de plus dangereux, et malheureusement de plus commun que ce mot : — Il faut faire quelque chose ! Quoi ? On n’en sait rien, et nous n’irons pas jusqu’à dire que cela importe peu : mais une Chambre comme la nôtre aime encore mieux faire une réforme douteuse que de n’en faire aucune. Si elle tire un peu aveuglément des lettres de change sur les budgets futurs, c’est qu’elle a permis au pays d’en tirer sur elle-même, après lui avoir fait tant de promesses et d’engagemens, dont la conclusion dernière est toujours d’établir sur la terre une espèce de paradis fiscal.

Nous sommes encore loin de ce paradis, dont l’impôt global et