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la confiance de la jeunesse, confiance en lui-même, confiance dans le gouvernement dont il fait partie, confiance dans les ressources inépuisables du pays, confiance dans le génie de la République. Enfin, bien que ce soit une habileté devenue assez commune, il manie les chiffres avec une adresse de prestidigitation tout à fait propre à jeter de la poudre aux yeux. La Chambre ne lui demandait pas la vérité budgétaire ; elle la connaissait, M. Ribot la lui avait dite ; elle lui demandait la vérité conventionnelle et électorale dont elle avait un besoin immédiat. Ce n’est pas la première fois que ce phénomène se produit : on le constate chez nous tous les quatre ans. Mais nous reconnaissons volontiers que M. Caillaux a eu plus de mérite que ses prédécesseurs à en dégager la manifestation, si on mesure le mérite à la difficulté vaincue.

Est-ce à dire que la France se soit appauvrie ? Il serait prématuré de porter ce jugement, qui n’a pas été celui de M. Ribot. La France est un des pays les plus laborieux, et certainement le plus économe du monde entier. Elle n’entend pas toujours bien l’économie, mais elle la pratique avec une persévérance merveilleuse. Aussi, malgré les épreuves qu’elle a traversées dans ces derniers temps, a-t-elle non seulement conservé son rang parmi les nations les plus riches, — nous parlons de la richesse acquise et disponible, — mais même atteint le premier. L’Angleterre, qui l’occupait, éprouve à son tour dos embarras qui le lui ont pour le moment fait perdre. Tous ceux qui ont besoin d’argent s’adressent au crédit de la France, devenue le banquier de l’univers. Nous pouvons, à la vérité, plutôt nous en enorgueillir que nous en féliciter, ou du moins nous ne nous en féliciterons pas sans réserves, puisque c’est avec notre argent que s’organise au dehors contre nous une concurrence industrielle de plus en plus puissante. Chose singulière et certainement regrettable : nous savons économiser, thésauriser, amasser des ressources ; puis, nous avons plus de confiance dans les autres qu’en nous-mêmes pour en faire emploi, et nous aimons mieux les confier à l’étranger que les utiliser directement. Notre initiative industrielle, qui pourrait être si féconde, est timide et restreinte ; et, s’il est vrai que l’argent n’est rien par lui-même, et qu’il ne doit compter que pour les avantages qu’on en retire, le nôtre est plus utile aux autres qu’à nous. Il n’en est pas moins exact que nous en avons beaucoup, et que l’étiage n’en a pas baissé dans ces derniers temps. Aucun signe extérieur n’indique que l’abondance en ait diminué. C’est pour cela qu’il ne faut pas s’alarmer outre mesure de la situation actuelle : il suffit de s’en préoccuper.