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Ainsi réduite dans son objet et dépouillée de toute sanction immédiate, la Conférence de Berlin s’ouvrit le 15 mars, trois ou quatre jours seulement avant la démission définitive du prince de Bismarck, avec le concours de tous les États industriels de l’Ouest, du Centre et du Midi de l’Europe ; seule parmi les grandes puissances, la Russie n’y figurait point. Chacun se rendait compte du caractère tout platonique de l’œuvre que l’on allait entreprendre, mais chacun cherchait aussi, dans les détails d’attitude et les nuances de discours de son voisin, plus que dans les vœux à émettre, l’intérêt de ce premier contact, sur des sujets aussi nouveaux, entre délégués de rivaux industriels aussi âpres. Déjà, d’ailleurs, l’Allemagne n’osait plus invoquer que timidement, et pour ainsi dire par acquit de conscience, les motifs tirés de la concurrence internationale ; même chez elle, les argumens d’ordre sentimental revenaient au premier rang. « Dans la pensée de l’Empereur, dit le discours inaugural du président, M. de Berlepsch, ministre prussien du Commerce et de l’Industrie, la question ouvrière s’impose à l’attention de toutes les nations civilisées, depuis que la paix des différentes classes paraît menacée par la lutte à la suite de la concurrence industrielle (on ne disait même plus internationale). La recherche d’une solution devient dès lors non seulement un devoir humanitaire, mais elle est exigée aussi par la sagesse gouvernementale qui doit veiller en même temps au salut de tous les citoyens et à la conservation des biens inestimables d’une civilisation séculaire. »

La modestie de ces paroles cadrait fort bien avec les instructions données le 13 mars aux délégués français : « L’enquête internationale à laquelle il sera procédé doit donner d’utiles renseignemens ; nous avons, en tout cas, la confiance qu’elle démontrera que, dans aucun pays, les institutions sociales ne sont aussi complètement qu’en France, ni depuis aussi longtemps, en harmonie avec les idées de justice, de liberté et d’égalité qui tendent de plus en plus à inspirer les législations intérieures de tous les États. Toutefois, les élémens qui constituent les législations sont encore si dissemblables, il existe de si grandes différences dans les mœurs et les traditions de leur production industrielle, qu’il est difficile de penser que la Conférence puisse poser les bases d’une entente internationale sur les questions si complexes du travail des enfans, des filles mineures et des