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soit pour l’enlever à la fabrique la nuit et la rendre à la famille, soit pour lui assurer quelque repos en suite de couches ; mais la loi était encore muette à cet égard, et, pour les hommes, nul n’acceptait sérieusement l’immixtion du législateur ni dans la fixation des salaires, ni dans la limitation de la journée de travail ; on était à peu près unanime à proclamer qu’on avait assez fait pour eux en leur donnant par la loi de 1884 sur les syndicats la faculté de se coaliser pour tenir tête aux patrons ; l’on n’était aucunement enclin à se lancer dans de périlleux excès d’intervention législative. À ces motifs permanens pour repousser les prétentions allemandes s’en joignaient d’autres de circonstance : au nom des principes qui prévalaient dans notre droit interne, nous avions amené la Suisse à renoncer à parler de la limitation du travail dans son projet de conférence de Berne ; il eût été infiniment délicat, lorsque déjà certains partis discutaient s’il était convenable pour nous de participer à la Conférence de Berlin, de nous montrer plus concilians et plus larges pour l’Empire allemand que pour la Confédération helvétique.

Des négociations actives se poursuivirent pendant tout le cours du mois de février 1890. La Suisse tout d’abord s’effaça, plus ou moins volontiers, devant l’initiative de l’Allemagne : elle abandonna, malgré qu’elle en eût la priorité, l’idée de réunir la Conférence à Berne, et annonça qu’elle se rendrait à Berlin, acceptant du même coup, — ce fut peut-être une faute, étant donnée la politique qu’elle entendait suivre, — que la délibération, par le seul fait de ce changement de lieu, apparût à tous comme moins impartiale, moins scientifique, plus commandée par des intérêts locaux. De son côté, la France fit savoir, le 27 février, qu’elle se rendrait à la convocation impériale, mais sous la condition expresse que, tout comme dans le projet suisse, l’œuvre que la Conférence devait accomplir serait une simple enquête internationale dont les conclusions ne pourraient entraîner aucune sanction positive. « Personne, en effet, disait M. Spuller, alors ministre des Affaires étrangères, ne saurait se faire illusion sur les difficultés de tous genres qu’un règlement, et même une simple étude, au sein d’une conférence internationale, de questions déjà si complexes et si délicates par elles- mêmes, est appelé à rencontrer, tant dans la différence des législations, des conditions du travail et de la vie sociale, que dans le conflit inévitable des intérêts qu’il s’agirait de concilier.