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4 février, à prêter les mains à l’amélioration du sort des ouvriers allemands, dans les limites qui sont fixées à ma sollicitude par la nécessité de maintenir l’industrie allemande dans un état tel qu’elle puisse soutenir la concurrence sur le marché international, et d’assurer par là son existence ainsi que celle des ouvriers. La décadence de l’industrie allemande, par la perte de ses débouchés étrangers, priverait de leur pain, non seulement les patrons, mais encore les ouvriers. Les difficultés qui s’opposent à l’amélioration du sort de nos ouvriers et qui proviennent de la concurrence internationale, ne peuvent être, sinon surmontées, du moins diminuées, que par l’entente des pays qui dominent le marché international. »

Ce langage, qui paraît emprunté aux socialistes les plus déterminés[1], diffère cependant essentiellement et de la pure doctrine internationaliste et des visées plus spéculatives, plus académiques, plus désintéressées en un mot, de la Confédération helvétique : tandis que le socialisme théorique sacrifie volontiers les frontières pour assurer suivant ses formules propres le bien-être des ouvriers, tandis que le cabinet de Berne semblait mû par des considérations de principe plutôt que par le souci des destinées de l’industrie et du commerce suisses, Guillaume II affirme catégoriquement sa volonté de n’être humanitaire que dans la stricte mesure où cela sera compatible avec les besoins de la production et de l’exportation allemandes. C’est pour favoriser celles-ci, en aidant l’industrie à sortir de ses difficultés intérieures, qu’il fait appel à la bonne volonté des États industriels concurrens ; c’est dans un dessein principalement national qu’il provoque une entente internationale. L’intention est déjà évidente dans le rescrit cité plus haut. Elle est plus brutalement exprimée encore dans la lettre d’invitation adressée aux chancelleries par M. de Bismarck : « Vu la concurrence internationale sur le marché du monde, lit-on dans ce document, et vu la communauté des intérêts qui en provient, les institutions pour l’amélioration du sort des ouvriers ne sauraient être réalisées par un seul État, sans lui rendre la concurrence impossible vis-à-vis des autres. Des mesures dans ce sens ne peuvent donc être prises que sur une base établie d’une manière conforme par tous les

  1. Voyez notamment l’interpellation de M. Antide Boyer à la Chambre, le 6 mars 1890, et la déclaration faite en son nom personnel à la Conférence de Berlin par l’un des délégués français, M. Delahaye Livre Jaune, p. 76 et 87).