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V

George Sand se trompait donc sans doute dans les vœux qu’elle forma sur le berceau de son petit Saint-Jean berrichon, dans le choix des dons que, en bonne fée des campagnes, elle eût voulu prodiguer au fils de Germain, le fin laboureur. A notre paysan souabe tout au moins, la culture intellectuelle n’a pas apporté le secret de la vie pondérée, équilibrée, et véritablement heureuse. Reconnaissons-le cependant, sa Muse semble lui avoir fait goûter de fugitives douceurs et des consolations momentanées ; en tous cas, elle lui a rendu ce bon office de lui épargner une incertitude qui forme souvent l’un des plus cuisans supplices du producteur : le doute sur la valeur de son œuvre et sur la durée de sa mémoire. Ses préfaces gardent bien quelque apparence d’humilité ; il y réclame l’indulgence du lecteur pour « un pauvre villageois sans instruction, » dont les faux pas scientifiques devront être excusés de même que les inadvertances grammaticales ; et ces dernières sont assez fréquentes en effet sous sa plume. Mais c’est là simple précaution oratoire, pure coquetterie d’un séducteur qui se sent assuré de la puissance de ses charmes. Le ton est tout autre en effet dans la plupart de ses poésies. Parfois la vanité de l’écrivain y conserve encore quelque grâce, par exemple dans ces vers[1] où il se flatte « de transformer les mesquins événemens de la vie quotidienne en l’or pur de ses chants, par l’addition de quelques gouttes de son esprit. »

Il y a de la noblesse dans l’aveu que voici[2] :


Souvent j’ai éprouvé le regret de sentir que mon corps fatigué par le rude labeur des champs n’était plus capable de bien voir et de bien entendre la nature. Combien de fois, humble travailleur des domaines de l’esprit, n’ai-je pas aspiré, vers le midi, à un rafraîchissement, vers le soir, à quelque obole rémunératrice. Et je reçus aussitôt cette réponse : Si tu veux de moi des gages et un salaire, tu n’es plus mon favori ni mon enfant : tu deviens un mercenaire et un valet que je rémunérerai selon la coutume et le droit seigneurial. S’il en est ainsi, dis-je, tout confus à l’apparition de rêve, j’y renonce de grand cœur : que mes gages, mon salaire, mon unique espérance soient de demeurer ton confident et ton fils.

  1. Présents votifs. Mon métier.
  2. Sonntagsgaenge, II. Préface.