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chéris, ne voulez-vous donc plus attendre davantage ? Cette fleur d’un jaune ; sombre, ô mon fils, je ne l’ai jamais vue qu’au jour où la mère expirait. Oui, c’est bien la même… Ton aïeul, ton petit frère et la mère m’appellent Donc tous trois. Embrasse-moi, mon enfant, car je dois partir.


Faut-il rapporter à cette préoccupation constante de la mort les idées de Wagner sur le suicide, qui semblent la conclusion logique des leçons ambiguës du Bouddha et de Schopenhauer à ce sujet. Non seulement il glorifie la mort volontaire dans le sens stoïcien, à titre d’effort suprême du courage et de la vertu ; mais il va jusqu’à y trouver l’assaisonnement qui, seul, prête quelque saveur à l’existence humaine[1]. Il est vrai qu’il tempère ailleurs ces excès par quelques conseils de prudence et de raison : Songe d’abord, dit-il, avant une telle décision, si tu n’as pas de devoirs imprescriptibles à remplir envers des êtres chers[2].

Et il fait alors remarquer, dans sa préoccupation ordinaire de la métempsycose, que l’association de nos atomes pour former un homme est une rare fortune qu’ils ne sont pas assurés de retrouver de sitôt, une fois dispersés. Ce ne sont pas moins là des enseignemens singuliers dans la bouche d’un penseur, qu’on voudrait nous donner pour un apôtre de la joie de vivre[3].

  1. Foi nouvelle, p. 61.
  2. Sonntagsgaenge, 1, 25.
  3. Il est difficile de ne pas rapprocher le caractère et le talent de Wagner de ceux du poète écossais Robert Burns, qui est assez étudié en Allemagne actuellement. L’auteur de la Chanson des Gueux, dans lequel Taine voyait déjà une physionomie intéressante, et le premier en date des poètes anglais de l’âge moderne eut une enfance plus dure encore, et, jusqu’à la fin de sa vie, la même existence de labeur que le paysan de Warmbronn. On trouve dans ses vers un pareil amour de la créature vivante : « Cette branche d’aubépine qui s’avançait sur la route, dit-il, quel cœur en ce moment eût pu songer à lui faire du mal ? » Parfois aussi les mêmes excès de sensibilité : ne le voit-on pas, cent ans avant Wagner, s’attendrir déjà sur une souris dont sa charrue a dérangé la tanière. « Je crois bien que, par-ci, par-là, elle vole. Eh bien ! après ? Pauvre bête ! Ne faut-il pas qu’elle vive ! » On remarque encore en Burns un mélange du sentiment chrétien et de l’érotisme païen, et souvent la même vanité d’auteur que nous allons signaler chez son émule. Mais les succès littéraires et mondains de l’Écossais furent bien plus brillans, et, par suite, bien plus néfastes à son talent comme à son bonheur. Enfin l’esprit révolutionnaire, les revendications sociales sont plus impétueux chez Burns ; plus atténués, plus voilés de résignation nécessaire chez Wagner, qu’un siècle d’expérience politique éclaire sur l’impuissance des lois à réaliser le bonheur de l’humanité. — Voyez les ouvrages de MM. Otto Ritter, Berlin, 1899 et Max Meyerfeld, Berlin, 1899.