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Et, dans le même recueil, parmi les vers qu’il a vraisemblablement écrits les derniers du volume, il présente un bien triste résumé de l’Expérience du Poète[1].


L’infortune, dit-il, guette celui qui s’égare loin des pâturages marécageux de la vie terre à terre... Le monde parle volontiers de doux gages d’amour échus en partage à qui sait chanter ; je n’en ai vraiment rien appris par moi-même. Le stupide valet de charrue qui laboure sans pensée, l’usurier qui trompe un enfant, le garçon de ferme qui balaye le seuil fangeux, le boucher qui égorge là-bas ce porc, le petit tailleur profondément courbé sur sa tâche ; tous, ils ont joui plus que moi de la vie. De belles femmes épient le doux écho de mes accens ; mais nulle ne veut de moi pour son confident sur le chemin...


Dans un autre morceau, Wagner revient encore sur cette ingratitude de ses concitoyennes, qui ne l’ont pas choyé à son gré[2] :


Je ne dois aucune inspiration poétique aux femmes de mon village ; retiré sur moi-même, c’est à moi seul que je suis demeuré fidèle...


Et les confidences que M. Weltrich a recueillies de la bouche de son héros confirment ces plaintes par des traits plus précis. Le poète a sans doute des amis à Warmbronn, dit son historien ; mais les paysans n’ont d’estime réelle que pour le sens pratique, pour le succès matériel, pour le gain en un mot ; ils méprisent une vocation intellectuelle qu’ils ne sauraient comprendre. Quelques anecdotes caractéristiques mettent en relief sous la plume du critique ces malentendus entre des âmes, parentes à l’origine, mais devenues trop dissemblables par le degré de leur culture. Tantôt Wagner est accusé de sorcellerie par les commères du village pour avoir parlé de composer des « hexamètres » à l’occasion de la fête de Pâques. Tantôt les petites filles du village refusent de jouer avec la sienne, parce qu’elles auraient honte de frayer avec l’enfant d’un « poète. »

Ainsi, la rude expérience des misères morales de l’humanité s’est jointe aux tendances naturelles de son caractère pour apporter aux inspirations de notre homme la teinte assombrie qu’elles revêtent fréquemment dans son œuvre. Toute une série de pièces des Poésies nouvelles a pour titre d’ensemble Journal d’un Fatigué de la vie, et débute par une litanie navrante, où

  1. Page 117.
  2. Nouveaux Poèmes, p. 32.