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dans le domaine de l’érotisme et de la gaieté sensuelle. Et, bien que son historien, M. Weltrich, en veuille faire l’apôtre de l’amour, de la joie et de la beauté, ce panégyriste consciencieux doit reconnaître lui-même que son héros trahit toujours quelque effort dans les passages de bravoure. Tantôt c’est la tension nerveuse du mélancolique qui cherche à s’étourdir à tout prix, tantôt cette « humeur de lendemain de fête » que Clara connaît si bien chez son Oswald, et qui le précipite machinalement vers la distraction nouvelle, dans l’écœurement mal dissipé de la précédente débauche. Par bonheur, ces traits sont assez rares en son œuvre : il suit plus volontiers son inspiration naturelle, qui le montre, après ses maîtres Bouddha et Schopenhauer, foncièrement pessimiste et attristé. C’est dans ce sens qu’il rencontre l’inspiration sincère, et la forme adéquate à sa pensée. Et, par exemple, il a écrit peu de pages plus pénétrantes que la Ballade de l’Astrologue, qui nous dit combien le bonheur est ici-bas mesuré d’une main avare aux humains[1] :


L’astrologue se tient sur la terrasse : son maître, le duc, est accoudé près de lui, Père, dit-il, n’est-il pas au ciel une étoile qui t’annonce clairement que mon union sera favorisée de nombreux enfans ?

Cette étoile, ô mon fils, s’attarde encore dans le brouillard de l’horizon, pourtant, puisque tu veux le savoir, et si mon art ne me trompe, lorsqu’elle se tiendra au-dessus du faîte de ton château seigneurial, sept enfans formeront autour de toi une douce constellation.

Mais, en revanche, à ce moment même une étoile disparaîtra vers le Couchant en franchissant le seuil céleste ; c’est une double étoile qui déjà s’abaisse tandis que l’autre monte à l’Orient. Ah ! cette double étoile, si j’en interprète bien le sens, ah ! combien le déclin de cet astre m’attriste ! Tu songes à ton père vénérable et à ta mère chérie, n’est-il pas vrai ? Béni sois-tu pour les larmes que, d’avance, tu verses en secret sur leur perte.

L’astrologue marche sur la terrasse ; son seigneur le duc se lient de nouveau près de lui : Quand donc, ô mon père, quand donc, durant la course des mondes, se lèvera pour moi l’astre de la gloire ?

Celui-là, ô mon fils, prend justement son essor ; dès minuit, Orion se montre[2], et, vers l’aurore, il va briller royalement au-dessus de ton front, l’environnant de ses rayons.

Mais, au Couchant en revanche, une étoile disparaît en franchissant le seuil céleste, un étoile d’amour, qui déjà s’abaisse, tandis que l’autre s’élève à l’Orient.

  1. III, 33.
  2. La mention d’Orion à titre d’étoile de la gloire, appuie cette supposition, comme nous le verrons tout à l’heure.