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la création. Les animaux sont, au même titre que nous, citoyens de la terre ; nous rêvons et nous espérons qu’une génération future honorera et ordonnera le rapport juridique qui réside dans cette communauté de vie.

Le droit positif n’a-t-il pas étendu successivement son bras protecteur sur la femme, sur le vieillard, sur l’enfant, sur l’aliéné, jadis sans garanties légales ? Pourquoi donc ne finirait-il pas par embrasser jusqu’au monde animal ?

— Voilà, dis-je, des extensions bien imprudentes ; et il serait tout aussi légitime d’annoncer le règne prochain du végétarisme sous le prétexte que l’anthropophagie a disparu presque entièrement de la surface du globe. Après avoir renoncé à manger son semblable, l’homme ne doit-il pas, en bonne logique, arriver à s’abstenir de la chair des animaux ?

— Je suis de votre avis, poursuivit mon interlocuteur, et vous allez voir où l’on serait conduit, si l’on acceptait à la lettre les exagérations des avocats du code animal. Sous une forme tranchante et grondeuse, leurs distinctions juridiques, leurs appels à l’intervention de l’Etat, leur recours aux devoirs maternels de la société, rappellent invinciblement d’autres dissertations, d’autres anathèmes qui sont la monnaie courante des réunions publiques et des polémiques de la presse avancée. On y sent poindre un socialisme extensif, qui, embrassant tous les êtres vivans devenus citoyens du globe au même titre que nous, créerait à l’homme des obligations impératives à l’égard de toutes les créatures. Et, admirant la puissance d’émotion sentimentale, qui permet à des esprits cultivés de s’arrêter sans sourire à de semblables utopies, de les appuyer même par une éloquence communicative, on entrevoit, dans leurs argumens, une exagération caricaturale, une irrésistible réfutation par l’absurde de certaines thèses chères aux réformateurs contemporains.

Puisque les animaux et les plantes elles-mêmes sont des « frères mineurs » de l’homme, presque au même titre que l’enfant et le vieillard, pourquoi ne pas les comprendre dans la distribution des richesses qu’ils contribuent à créer ? L’aigle n’aura-t-il pas légalement droit à une partie du troupeau communal : le chêne à une ration de l’eau distribuée en temps de sécheresse ? Si l’on suppose en effet la créature humaine capable de l’effort d’altruisme nécessaire au fonctionnement du collectivisme pur, pourquoi ne pas lui demander de franchir un degré de plus dans