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à cette dernière, et, bien qu’ancien professeur à l’Académie de guerre et au corps des cadets bavarois, nul ne déplore plus que lui la prussification de son pays et les excès du caporalisme envahissant. Il cite avec amertume, comme un trait rempli d’actualité à l’heure présente, l’anecdote de ce colonel prussien qui, s’étant trouvé par hasard sur le passage du convoi funèbre de Goethe, s’informa du nom du défunt, et s’étonna grandement qu’un simple poète se vît porter en terre avec les honneurs attribués par les règlemens à un officier supérieur d’état-major ! Vous ne sauriez donc, en bonne justice le rendre solidaire d’un état d’esprit qu’il réprouve, et lui ôter le droit de se montrer sensible envers les animaux. Poursuivons donc la revue de ses indignations.

Après les courses de taureaux, il s’en prend au tir aux pigeons, et nous offre un récit d’édification à ce sujet. L’écrivain alpin Henri Noé, à qui l’on vient d’élever un monument à Bozen, se trouvait certain jour à Abbazia, la Nice de l’Adriatique, où ce sport de luxe compte de nombreux fervens durant la saison. Il rencontra par hasard un convoi de volatiles destinés au plomb des grands fusils de l’endroit : se précipitant aussitôt sur les cages, il les ouvrit toutes grandes, et donna la liberté aux prisonniers ailés. Poursuivi pour cet exploit par les propriétaires des pigeons, lésés dans leurs intérêts, il fut condamné sans retard par le tribunal local. Et, ici, M. Weltrich d’élever la voix, et d ajouter avec exaltation :

« A l’instant même où fut rendue la sentence, un autre tribunal, invisible aux sens grossiers des spectateurs, prononçait de son côté sur le pauvre inculpé. Un génie lumineux, incarnation de la Pitié, recueillait les suffrages des juges, de nobles figures s’avançaient en cortège personnel pour célébrer l’acte héroïque, et un ange de lumière couronnait enfin des roses brûlantes de l’amour le front du martyr de la Charité. »

Et déjà l’ami de M. Weltrich, le délicat écrivain Théodor Vischer, estimait que tout homme de cœur, mis par le hasard en présence d’un charretier brutal, doit nécessairement penser en lui-même : « Je vais sauter à la gorge de cet homme, quoi qu’il en puisse advenir à mon égard. » Le héros du récit qu’il a intitulé : Auch Einer subit cette impulsion, y obéit, et trouve la mort dans son intervention courageuse. Comment s’étonner après cela si l’élève d’un tel maître méprise la sanglante profession