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occasion, il va même jusqu’à laisser leur part aux hannetons[1], qui demeurent pourtant les ennemis de l’agriculture, durant tout le cours de leurs métamorphoses, s’attaquant successivement aux racines, puis aux feuilles des plantes. Nul homme de bon sens ne le suivra sur ce terrain, et de pareilles exagérations suffiraient à expliquer, sinon à excuser cette attitude peu sympathique de ses voisins à son égard, que nous aurons l’occasion d’indiquer tout à l’heure.

Et que dire enfin d’un culte de la beauté qui se manifeste chez un cultivateur par les effusions que l’on va lire ? car les Présens votifs renferment encore une pièce intitulée : Beauté intangible[2] :


Je marchais le long de mon champ pour arracher dans le froment la mauvaise herbe qui y foisonne. De loin, déjà, je le voyais resplendir de l’azur des bluets, de la pourpre sombre des coquelicots. Je demeurai attristé d’une part, mais, de l’autre, nageant dans les délices, à l’aspect de cette splendeur indicible. Jamais, ô sol divin, je ne troublerai ta paix ; ta beauté me demeurera toujours sacrée ; je ne saurais l’offenser, et j’abandonne volontiers les gerbes qui me manqueront en retour. Je dis, et je m’en allai dans une satisfaction silencieuse, et dans une extase céleste.


Faut-il penser cependant qu’en ces lignes charmantes, la forme sauve le fond, qu’il y aurait pédantisme à les prendre à la lettre, que, malgré tout, Wagner a souvent arraché coquelicots et bluets dans ses blés ? Problème délicat, et, parvenu en cet endroit de mon étude, je me suis senti dans une atmosphère intellectuelle si nouvelle pour moi, que j’ai eu recours une fois de plus à mon savant ami. Je réclamai donc de sa complaisance quelques éclaircissemens sur la morale extensive de son poète, et sur l’origine d’un état d’esprit à ce point inattendu chez un homme des champs.


II

« Je ne fais partie, m’a-t-il répondu, d’aucune Société protectrice des animaux ou des plantes, et je ne puis vous fournir que des indications générales sur ce sujet : néanmoins, mes excursions dans le domaine bouddhique m’ont amené à y prêter quelque attention. Récemment encore un édit chinois, émané

  1. III, 31.
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