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Il insista si bien que Clarke finit par lui dire : – Je vais essayer de la décider, monsieur ; vous ne voulez pas qu’on la force, n’est-ce pas ?

Et il retourna dans la chambre des enfans s’acquitter de son ambassade. Si mince que fut la cloison, Livingstone ne saisit d’abord que le ton apitoyé de paroles prononcées à voix basse. Une voix de femme s’éleva un peu plus haut, sympathique, prompte à consentir. Il n’en était pas de même de la petite voix aiguë de l’enfant qui répétait « Non ! non ! » avec énergie. Alors, pour décider Kitty, son père fit valoir l’abandon, la détresse de Livingstone, bien moins heureux que lui, qui avait, Dieu merci, une maison pleine de petits enfans. Le laisserait-elle tout seul, sans personne qui lui souhaitât un bon Noël ?

Ce point de vue de son dénûment était nouveau pour Livingstone, mais il en reconnut la justesse. L’enfant allait-elle se laisser attendrir ?… Point du tout. Elle répondait à mesure : – Tant pis ! Je le déteste, papa, voyez-vous, je le déteste. Et je suis contente qu’il n’ait pas de petits enfans pour l’aimer. Quand il a refusé de vous laisser venir à la maison, ce soir, j’ai demandé au bon Dieu, oh ! de tout mon cœur, qu’il n’ait jamais de maison à lui, qu’il n’ait jamais de congé, qu’il n’ait jamais de Noël, jamais, jamais…

La petite voix vengeresse perçait la cloison et Livingstone se rappela une fois de plus les terribles paroles « Pour celui qui scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux qu’on lui suspendît au cou une meule de moulin et qu’on le jetât au fond de la mer. »

– Oh ! Kitty se récriaient à la fois le père et la mère épouvantés. Un homme si bon, si généreux, qui a donné à ton papa cinquante dollars de gratification !

Mais Kitty ne parut nullement impressionnée par cette largesse, et Livingstone ne s’étonna pas qu’elle la tint en grand dédain. Cinquante dollars ! Il en eût donné cinquante mille pour se débarrasser de la meule suspendue à son cou.

– Ainsi, tu ne veux pas aller avec lui en traîneau acheter beaucoup de joujoux pour les petits enfans ?

Une voix de garçon se mêla brusquement à l’entretien : – En traîneau ?… J’irai bien, moi ! oui, j’irai avec lui, j’irai chez la marchande de joujoux et peut-être qu’il m’achètera des patins.