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consolante vision, mais elle s’évanouit, chassée, couverte par une autre l’irrépressible total de ses millions !

Le Noël de l’étudiant lui apparut ensuite : il a vingt ans, il arrive dans la vieille demeure de famille avec un camarade de son âge, Harry Trelane, à qui ses parens disent, les mains tendues « Les amis de notre fils sont nos amis ! »

Et ce fut un jour de Noël aussi qu’ayant rendu cette visite à Trelane, Livingstone avait rencontré sa sœur. Il s’était trouvé brusquement dans une longue avenue, en face d’elle les bras pleins de branches de houx aux baies d’écarlate, le visage animé par une course victorieuse à travers la neige, plus rose encore de surprise, car elle avait désiré connaître l’ami de son frère et ne l’attendait pas. Qu’elle était belle, avec ses yeux rieurs, sa toque de fourrure où était piquée hardiment une branche de gui ! On eût dit une dryade fuyant les bois dépouillés par l’hiver. Et le lendemain, dans l’église parée de feuillage, elle priait comme une sainte. Ah ! Catherine !

Un autre Noël bien noir ; des revers sont venus ; par bonté, par générosité, son père a compromis gravement leur fortune et un délicat point d’honneur lui fait sacrifier presque tout ce qu’il possède. Livingstone est forcé de quitter l’université ; voilà sa carrière changée, il lutte pour l’existence, vit de croûtes dans un grenier, gagne au jour le jour tout juste de quoi se suffire misérablement. Mais il est riche tout de même, il a la jeunesse, de grandes espérances. Ah ! comme il était riche dans ce temps-là ! Et il ne le savait pas. Au fond de ce qu’il appelle sa richesse présente, Livingstone regarde avec envie le meurt-de-faim qu’il était alors. A Noël, il va retrouver ses parens dans leur paisible et si honorable médiocrité. Il leur porte de petits présens dont chacun représente une privation personnelle. Sa mère lui donne les gants qu’elle a tricotés pour lui, une vieille tasse de Sèvres venue des aïeux. Elle sourit… quel sourire ! Il n’y en eut jamais de comparable. Tout ce qu’il y a de divin tenait dans ce sourire-là, tout…

Et Livingstone sent sur sa face quelque chose de tiède, de vivant… Il y porte la main et la retire humide.

Inséparablement unie à celle de sa mère est la figure de Catherine Trelane. Depuis leur première rencontre, elle lui est devenue chère de plus en plus, mais son grand amour est timide. Pour elle, il supporte bravement la dureté de son sort ; pour elle