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vivre. Mme de Maintenon le comprit et s’y appliqua sans relâche. On suit, à travers les lettres sans nombre qu’elle lui adresse, les épreuves par lesquelles passe celle qu’elle appelle : sa chère, sa très chère fille. Suivant les cas, elle l’avertit, la gronde, la raille, la console, toujours avec une maternelle sollicitude. Jamais un conseil qui ne soit sensé ; jamais une parole qui ne soit tendre et en même temps virile. Du premier coup, elle met le doigt sur la plaie : « Vous n’aimez pas Dieu de tout votre cœur, de tout votre esprit : voilà votre mal et voilà sa source... Dieu vous avait donné un cœur tendre, généreux, reconnaissant, et, au lieu de pouvoir lui dire avec confiance : « J’ai inspiré le bien que vous aviez mis en moi, » vous entendrez qu’il vous dira : « Je vous avais donné un cœur propre à aimer, et vous avez aimé les créatures et vous avez cherché à les aimer. Vous avez passé vos jours, à vous attrister pour elles ; vous avez versé plus de larmes sur leur perte que sur vos péchés. Vous vous êtes rendue incapable de travailler pour moi, parce que vous vous êtes consumée pour elles. Vous avez manqué au premier commandement et à vos vœux. Vous avez langui dans ma maison, vous qui deviez, par tout ce que j’ai mis en vous, être l’exemple de la ferveur. Vous avez fait gémir vos supérieurs, vous qui deviez être leur consolation. » Voilà, ma chère fille, ce que je ne puis m’empêcher de vous dire. Je sais que je vous demande beaucoup, mais c’est à une religieuse que je parle et à une religieuse capable de comprendre l’étendue de ses obligations. »

Fort heureusement Mme de Maintenon était du nombre de ces créatures qu’elle reprochait à Mme de Glapion d’aimer. La jeune professe avait pour Mme de Maintenon un sentiment passionné. Celle qui était l’objet de ce sentiment ne se faisait pas scrupule de l’entretenir, tout en cherchant à le contenir dans de justes bornes. « Je désirerois deux choses bien difficiles à accorder, ma chère fille, lui écrivait-elle un jour, après avoir été malade : je voudrais que vous m’aimassiez tant que je vivrai, et que vous ne fussiez point affligée quand je mourrai. » « Ecrivez-moi toujours, lui disait-elle dans une autre lettre ; ne m’aimez pas trop. »

Pour agir sur celle à qui elle adressait cette singulière et touchante recommandation, elle savait à l’occasion faire usage de ce puissant levier de l’amour ; c’est bien le mot dont il convient de se servir, puisque l’indigence de notre langue (à moins que ce ne soit sa justesse) ne nous offre qu’un seul terme pour rendre