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humble sœur converse à laquelle elle écrivait pour lui reprocher de se croire abandonnée, en l’assurant qu’elle serait toujours prête et disposée à lui parler et à la regarder « non seulement comme une de ses chères filles, les dames de Saint-Louis, mais comme une de celles qui lui marquent le plus de confiance et d’amitié. » De ces nombreuses lettres, on pourrait tirer un petit traité de direction qui lui ferait le plus grand honneur et l’élèverait au niveau des plus illustres supérieures. A l’appui de ce que j’avance, je voudrais, dussé-je me trouver entraîné un peu loin, montrer comment elle s’y prenait avec une religieuse dont le nom, grâce à Racine, a quelque peu dépassé l’enceinte du monastère et quelle formait pour lui succéder à la tête de Saint-Cyr


III

Madeleine de Glapion des Routis, d’une vieille famille de Normandie, avait été l’une des premières admises parmi les jeunes filles nobles et pauvres à qui Mme de Maintenon entendait faire donner une éducation conforme à leur rang[1]. Dès l’âge de quatorze ans, Mme de Maintenon la distingua : « Je ne veux pas, lui écrivait-elle, attendre aux étrennes à vous donner un livre pour écrire ce qui vous touche le plus. » Quelques mois après, Madeleine de Glapion jouait Esther, au ravissement de Racine. « J’ai trouvé, disait-il, un Mardochée dont la voix va au cœur. » Le jour de la représentation, sa voix alla au cœur, en effet, et non pas du seul Racine, ce qui eût été sans inconvénient. Les dames de Saint-Louis, dans leurs Mémoires, racontent naïvement l’histoire. Un page de la Grande Mademoiselle, qui avait été admis à la représentation, avait reçu de la voix et de la beauté de la jeune actrice une telle impression qu’après avoir vainement essayé par deux fois de lui faire accepter une lettre, il suborna l’un des brodeurs de la maison pour cacher cette lettre dans un habit que Madeleine de Glapion devait revêtir pour la représentation. Celle-ci « pensa mourir de honte » et donna la lettre à la maîtresse des bleues, qui la donna à Mme de Maintenon. Plainte fut portée à Mademoiselle, qui fit fouetter son page et menaça de le chasser. Fou de colère, le page s’en prit au brodeur qu’il accusa de l’avoir trahi, et, de concert avec deux

  1. Elle était née en 1674 et entra en 1682 dans la maison de Noisy, dont l’établissement précède celui de Saint-Cyr.