Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bouillon pour les malades, et elle ajoutait ce sage conseil : « Apprenez à être un peu cuisinière, car on commande bien plus à propos quand on sait de quoi il est question. » Mais la discipline intérieure de la maison, la direction morale et intellectuelle des religieuses l’occupaient avec raison davantage.

Dans cette direction, elle fit cependant au début, il faut le reconnaître, une grosse faute. On sait que, fascinée par Mme Guyon, entraînée par Fénelon, elle laissa s’introduire et se développer à Saint-Cyr ces maximes d’une spiritualité malsaine que l’Eglise devait bientôt condamner. « On ne parlait plus, disent les dames de Saint-Cyr elles-mêmes, dans leurs Mémoires, que de pur amour, de sainte indifférence, de simplicité laquelle on mettait à se bien accommoder en tout pour prendre ses aises, à ne s’embarrasser de rien, pas même de son salut... Ces façons de parler étaient si communes que les rouges mêmes (c’étaient les enfans les plus jeunes) les tenaient ; jusqu’aux sœurs converses et aux servantes, il n’était plus question que de pur amour, et il y en avait qui, au lieu de faire leur ouvrage, passaient leur temps à lire les lettres de Mme Guyon et croyaient les entendre. » Pour ouvrir les yeux de Mme de Maintenon, il fallut le vigoureux bon sens de son directeur, l’évêque de Chartres, Godet Des Marais, et, pour ramener Saint-Cyr à la saine doctrine, l’intervention personnelle de Bossuet, qui vint y faire deux conférences où il traita à fond « les dogmes affreux de l’indifférence pour le salut éternel et de l’oraison passive ; » puis le renvoi par lettres de cachet de trois tenantes obstinées du pur amour ; enfin l’intervention personnelle de Louis XIV, qui adressa d’abord aux dames de Saint-Louis une lettre assez sévère, datée du camp de Compiègne, et qui vint ensuite en personne, tout à la fois rassurer la communauté qui craignait d’être en disgrâce, et lui recommander de tout sacrifier pour conserver la pureté de la foi.

Depuis cette journée où l’on vit Louis XIV, « assis au milieu d’une nombreuse communauté de religieuses, leur parler avec la majesté d’un grand roi, et toute la force d’un prédicateur zélé, » il ne fut plus question du quiétisme à Saint-Cyr, et il faut rendre justice à la fermeté avec laquelle Mme de Maintenon, éclairée par l’expérience, sut en bannir toute nouveauté, comme on disait alors, et y maintenir la paix religieuse, alors que, peu après, cette paix devait être si profondément troublée en France par le renouvellement de la querelle janséniste et par la bulle