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autre secrétaire. Elle hésitait à en prendre une qui fût en titre. Après les avoir gardées quelque temps, elle se croyait obligée de les établir, et, comme la dot de 3 000 livres que Saint-Cyr leur constituait ne paraissait pas toujours suffisante aux épouseurs, comme il fallait, pour la compléter, s’adresser au Roi et qu’elle craignait de lui causer par cette fréquente importunité quelque impatience, elle hésitait fort. Les dames de Saint-Cyr triomphèrent de ces hésitations, ainsi qu’elles vont nous le raconter.

« Je reviens, dit une de celles qui dans leurs Mémoires tiennent successivement la plume en leur nom, aux demoiselles qui se succédèrent les unes aux autres auprès de Mme de Maintenon. Après le mariage de Mme d’Avrincourt, elle ne vouloit plus prendre de nos demoiselles, trouvant que c’étoit une affaire d’avoir à les établir, et elle craignoit que le Roi, à qui cela ne laissoit pas d’être à charge, ne s’en lassât : cependant nous avions ici Mlle d’Aumale, qui avoit bien du mérite et que nous désirions fort qui occupât cette place ; d’autant plus que c’étoit une fille à ne chercher d’autre fortune que le bonheur de plaire à Mme de Maintenon, de la soulager et de passer sa vie auprès d’elle ; on lui parla tant des bonnes qualités de cette demoiselle, surtout notre mère de Fontaines, et toutes celles qui avoient été ses maîtresses, que Mme de Maintenon se laissa persuader ; elle ne fut pas longtemps sans s’apercevoir que nous lui avions fait un bon présent, et nous en sut bon gré ! »

Disons tout de suite que Mlle d’Aumale était laide, d’une laideur sur laquelle elle plaisantait agréablement. « Quelque mauvaise opinion que j’aie de moi, disait-elle, je ne changerois pas la bonté de mon esprit avec un autre. Pour la beauté, j’en changerois avec tout le monde. » Mais elle avait beaucoup d’esprit, de vivacité, et une remarquable facilité pour apprendre toute chose. « Elle est très intelligente sur tout, disait Mme de Maintenon, et capable de toutes les choses d’esprit et de celles qui sont les plus basses. Je lui ai fait apprendre la cuisine, et elle réussit aussi bien à faire du riz qu’à jouer du clavecin. » Elle était en particulier très bien douée pour la musique, chantait juste et avait une jolie voix. Nous verrons plus tard Mme de Maintenon faire servir les talens musicaux de Mlle d’Aumale aux plaisirs du Roi. Mais, pour ses débuts dans cette place de secrétaire, Mlle d’Aumale allait être employée à une fonction à laquelle il semblait que son âge (elle avait à peine vingt-deux ans) ne la