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qui est la seule chose à qui on ait donné son nom. Elle se plaça dans le fond du carrosse à côté du Roi, et, comme elle reconnut la dame anglaise en passant, elle la salua avec un de ces sourires sérieux où il entre de la douceur et de la majesté. La comtesse fut enchantée de cet air de modestie qui accompagnoit toutes ses actions. Elle lui trouva de beaux yeux, la physionomie fine, et ce je ne sais quoi que les années ne peuvent ôter et qui est préférable à la plus grande beauté. Elle ne paroissoit pas occupée de sa grandeur, et elle sembloit donner toute son application à examiner si le Roi étoit dans une situation commode. Dès qu’elle fut assise, on lui apporta son ouvrage, qui étoit un morceau de tapisserie ; elle prit en même tems ses lunettes, et après avoir levé les glaces du carrosse, elle se mit à travailler. »

Ce « je ne sais quoi que les années ne sauroient enlever et qui est préférable à la plus grande beauté, » Mme de Maintenon le conserva en effet jusque dans les dernières années de sa vie. « Il y a longtemps qu’on ne m’avait parlé de mes yeux, » écrivait-elle avec enjouement à l’âge de quatre-vingts ans : c’est donc qu’on lui en parlait encore. Jusqu’à la fin, elle inspira des attachemens passionnés. Il est vrai que c’était aux religieuses et aux demoiselles de Saint-Cyr. A travers les Souvenirs et surtout les lettres de Mme d’Aumale (dont Lavallée a publié quelques-unes), nous verrons quel prix celles-ci attachaient aux moindres marques de sa faveur et de son affection. Nous y verrons aussi combien elle savait se faire aimer des enfans dont elle vécut environnée jusqu’à ses derniers momens. Or nul âge n’est aussi sensible au charme que l’enfance, et ne sait mieux reconnaître sous les rides de la triste vieillesse les traits de la primitive beauté. Dans cette étude sur celle qui fut sa secrétaire et sa compagne dévouée, Mme de Maintenon apparaîtra donc sinon de face, du moins de profil, sous un jour peut-être un peu nouveau. C’en sera, je l’espère, assez pour exciter quelque intérêt et pour justifier l’entreprise de replacer, non pas assurément sur un piédestal, mais sur un socle à la mesure de sa taille, cette figurine du grand siècle.


I

Marie-Jeanne d’Aumale naquit au mois de juillet 1683 (son acte de baptême est du 4), à Vergie, petit village de Picardie.