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cas ordinaire, c’est-à-dire lorsque la raréfaction est modérée, lorsque le vide existe à quelques centièmes ou, au plus, à quelques millièmes d’atmosphère.

Il ne faut point se borner à cet effort insuffisant, si l’on veut observer le rayonnement cathodique. Il faut, comme Lenard et Crookes, aller plus loin, sans aller trop loin cependant. Le physicien anglais, surtout, a poussé l’épuisement jusqu’à un degré prodigieux. Dans les tubes ou ampoules de Crookes, le vide atteint un millionième d’atmosphère. La pression du résidu gazeux, évaluée en millimètres de mercure, n’atteint plus que 0,00076. Le savant anglais prétendait que, raréfié à ce point, ce résidu n’avait plus les propriétés des gaz ordinaires : c’était, selon lui, un hypergaz, aussi différent de l’état gazeux véritable que celui-ci l’est de l’état liquide, et constituant dans la hiérarchie des états physiques, après le solide, le liquide, le gaz proprement dit, un quatrième degré sous le nom de matière radiante. Crookes, en se fondant sur ce que la théorie cinétique nous enseigne relativement à la constitution des gaz, a voulu préciser les caractères de ce quatrième état de la matière. En réalité le gaz, raréfié au millionième d’atmosphère, n’a point acquis, par ce fait seul, un caractère tout à fait nouveau ; mais il l’acquiert, très certainement, quand l’électrisation vient s’ajouter à la raréfaction ; et c’est alors qu’il constitue l’émanation ou le rayon cathodique.

Nous avons dit qu’il ne faut point pousser le vide trop loin. Si l’on va au delà du millionième d’atmosphère, beaucoup au delà, — et le perfectionnement de la technique le permet, — le résidu gazeux ne peut plus être électrisé : l’électricité ne passe plus ; il n’y a plus de décharge. Le vide absolu est infranchissable à l’agent électrique. Cette résistance du vide qui se refuse au passage de l’électricité, est un article de foi chez les physiciens, depuis les expériences de Walsh, de Morren et de Schultz. L’importance de ce principe est extrême au point de vue doctrinal ; il fournit, en effet, un nouveau critérium de la matérialité. Mais, dans l’application, sa valeur pratique est très restreinte. Les expériences de Lenard après celles de Hertz, en nous montrant la propagation de certaines formes d’électricité dans le vide, nous instruisent des restrictions qu’il comporte. Nous dirons, avec J. Perrin, qu’il est très probable que l’électricité reconnaissable, décelable expérimentalement, ne peut pas se propager sans un support matériel : mais ce n’est pas certain.