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Du roi Louis XVI nous n’avons ici qu’une représentation officielle, par Callet, et des bustes, dont un fort beau, celui de Houdon ; mais la figure poussée à l’élégance ne donne pas une impression de vérité. Le tableau parlant, quoique d’une facture médiocre, c’est le grand portrait équestre de l’attique du Sud, signé : « Carteaux, peintre du Roy, officier de la cavalerie nationale parisienne, 1791. » On l’imagine plus enclin à guillotiner son roi qu’à le peindre, ce général Carteaux qui allait exercer les vengeances de la Convention dans le Midi soulevé. Son œuvre symbolique pourrait être l’enseigne d’un cirque : un lourd cheval blanc se cabre sous un lourd cavalier rouge ; l’homme arbore à son chapeau une énorme rosette de rubans tricolores, qu’on dirait empruntée à quelque Lubin d’opéra-comique : elle contraste avec le sérieux de la figure, bouffie, et comme noyée dans trop de chair. La main brandit sans conviction une petite épée de parade ; sur la lame, dans l’éclair bleu du damas, luisent ces deux mots en grandes lettres : LA LOI. On se croirait devant un tréteau forain où l’acteur royal joue avec résignation, avec docilité, dans une pièce où il n’a que faire, un rôle mal appris et qu’il ne comprend pas.

Il ne comprend pas, « le pauvre homme, » comme l’appelait sa femme aux heures de dépit. Et d’abord, il ne comprend pas cette femme, qu’il chérit, à laquelle il ne dit mot, et dont il redoute plus que tout les bouderies : « N’allez pas chez la Reine, il n’y fait pas bon aujourd’hui, » disait-il tout penaud à un de ses ministres, après une rebuffade conjugale. Il bâille aux soirées de Trianon, aux bavardages de la coterie, à leurs spectacles, à leur jeu ; il ne joue ni ne dépense, il ne cause pas, ne sait rien de la galanterie ; car il n’a aucun vice, ce vorace chasseur dominé par les besoins physiques, j’entends par ceux que la décence et la religion tolèrent. Il s’évade à dix heures, pour se lever à l’aube, rejoindre sa meute, ou monter à sa forge, à son petit refuge d’artisan, sous les toits. Dans cette cellule abandonnée, j’ai cru parfois l’entendre qui gravissait l’escalier, de son pas pesant, pour rallumer le fourneau éteint. Il ne comprend ni ses ministres tortueux, ni ses courtisans avides, ni son peuple ingrat dont il veut le bonheur, ni le formidable mystère où il entre. Mais qui le comprenait, ce mystère ? Et comment l’eût-il compris, lui, l’élève du vieux La Vauguyon, si peu préparé à régner, même en un temps régulier ? — « Oh ! mon Dieu ! gardez-nous,