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et enseignent à Caliban les chansons de révolte. Que diraient, s’ils revenaient ici, les graves survivans du grand règne que nous laissâmes dans le premier salon ? Ils retrouveraient les brigues et les passions de la Cour, encore un peu de son formalisme extérieur ; ils ne s’y reconnaîtraient pas, dans le bouleversement des idées, le relâchement de tous les vieux ressorts. Reconnaîtraient-ils au moins les idoles royales ?

Il n’est que temps d’approcher les maîtres de céans, avant qu’ils montent là-haut, comme en une autre tour du Temple. La Reine, d’abord ; au centre d’un panneau, dans le grand portrait où sa beauté un peu hautaine attend les hommages, elle nous appelait depuis notre entrée. Je reculais l’instant d’aller à elle : tout historien qui affronte cette figure sent d’avance qu’il marche à de cruels combats entre son cœur et sa raison.

C’est le portrait si connu de Mme Lebrun ; la Reine en robe rouge, avec ses trois enfans. Ce tableau fut peint en 1787, exposé la même année au Salon du Louvre. On y apporta le cadre vide avant la toile ; d’où le mot sanglant qui jaillit de la haine sur les lèvres des Parisiens : Portrait de Mme Déficit. L’image de la malheureuse femme cherche depuis lors une retraite où elle soit à l’abri de ses persécuteurs. On la voyait naguère dans l’attique du Sud, en face de sa pire ennemie, Mme Roland, une rivale, blessée dans sa vanité, haïssant la Reine comme on se hait de femme à femme. Marie-Antoinette est descendue dans l’appartement où elle passa la première nuit de ses noces, morose souvenir. Elle y est en famille. Vis-à-vis d’elle, Philippe-Egalité, le louche braconnier qui la guette au piège, l’homme qu’elle accuse du premier cri, après les journées des 5 et 6 octobre : « M. le Duc d’Orléans a voulu nous faire assassiner ! » (Augeard.) Où qu’elle regarde, elle n’aperçoit que trahisons et périls : ici Provence, là Artois ; ces frères, ces cousins aiguisent le mot qui va la blesser, inspirent les infâmes libelles que Champcenetz fera jeter jusque dans l’Œil-de-Bœuf.

Aussi y a-t-il quelque contrainte sur ce front, quelque dureté dans le regard, dans l’arc des sourcils. Mme Lebrun a vu la Reine telle que la décrivait Mme de Lamballe, après l’acquittement de Rohan : « Sa physionomie, jadis si douce, si caressante, ne peignit en public que la hauteur et le dédain... » Cette fière tête se redresse, comme pour résister au poids invisible qui la tire, va l’abaisser, et finalement la détacher : le poids de