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Artois, vieillard chenu, ceint la couronne entre les maréchaux de l’Empire. Et après, Holyrood, le Hradschin, Goritz, les gîtes et les tombes de l’exil ! Nous avions vu dans une chambre précédente, parmi les hôtes du roi Louis XV, deux jeunes Stuarts, beaux et tristes, ballottés hors de leur île dans un naufrage sans fin. Les jeunes gens d’ici seront les Stuarts du siècle prochain. — Cette pièce donne sur une galerie où un autre jeune homme nous arrêtera au passage. Dans le temps que les artistes de la Cour peignaient ces portraits à Versailles, le crayon novice d’un camarade croquait gauchement un lieutenant de la garnison de Valence, pendant une visite qu’ils faisaient ensemble à Tournon ; quelques traits seulement, la silhouette du maigre profil, de longs cheveux plats qui tombent comme des baguettes sur les joues creusées : — « Mio caro amico Buonaparte. — Pontomini, del. 1785, Tournone. » — C’est le premier portrait de Napoléon. Il attend là que ces princes montent dans la salle de la Révolution.

Ne sommes-nous pas fondés à dire qu’il faut aimer l’histoire vivante, aux lieux où elle s’est faite, devant les images de ses acteurs ? Par une simple juxtaposition de ces images, l’histoire éblouit notre esprit et saisit notre cœur, mieux que l’orateur le plus éloquent, mieux que le plus lyrique des poètes. Il suffit de nommer ces portraits, le passant qui vous les désigne n’y saurait rien ajouter ; ce n’est pas lui qui vous parle, c’est eux seuls. Votre regard les rassemble, et aussitôt le spectacle des temps repasse, total et magnifique, dans toute imagination qui se représente les contrastes, les rapports, l’enchevêtrement mystérieux de ces destinées. Tel, et avant qu’il n’existe pour nous, le spectacle de la vie universelle doit passer, si l’on ose dire, d’une seule vue et sur un même plan, dans la pensée omnisciente qui ordonne ces grands jeux.

Il continue, le défilé des victimes prochaines, avec un beau portrait de l’intendant Foullon. Quelle satisfaction de vivre, sur cette face de financier comblé ! Comme elle sue béatement l’aise de la richesse et de la vanité ! Assis devant un bureau somptueux, la poitrine barrée d’un cordon rouge, — il est secrétaire grand-croix de l’ordre de Saint-Louis, — Foullon se voit bientôt contrôleur général, et il mourait d’envie de l’être, nous dit Bezenval. Le sort lui réserve une autre élévation, à quelques années de délai. Traqué par la fureur populaire dans son château