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auraient tort à reprendre, mais enfin une façon de morale, et presque une religion. Son souffle puissant a pénétré jusque dans ce palais dont Jean-Jacques ne franchit jamais le seuil. — Entrons donc dans la salle Louis XVI : une aurore va nous y sourire, tout l’annonce, tous se la promettent.

Illusion vite dissipée ! C’est un crépuscule. Le passé pèse d’un poids trop accablant sur la jeune Cour. Il est trop tard pour une renaissance ; trop tard pour tout, même pour l’honnêteté, qui ne sait pas être [perspicace, même pour la bonté, qui dégénère en faiblesse. Vainement les courans nouveaux soulèvent et emportent le monde du dehors : ils pourront bien susciter dans le monde de Versailles quelques engouemens superficiels, y modifier les toilettes, les amusemens, les spectacles des Menus et la musique de l’Opéra ; ils ne changeront pas des cœurs et des cerveaux façonnés dans le moule déprimant qu’est ce palais. — « Vous qui naissez ici, quittez toute espérance de comprendre les choses du dehors et la vie des autres hommes. » On aurait pu graver sur le fronton du Château, avec ces variantes, la sentence lue par Dante sur la porte qui séparait des vivans « la gent douloureuse qui a perdu le bien de l’intelligence. »

Avant de considérer les portraits, regardons les tableaux de genre : Olivier y a reproduit en 1766 les divertissemens des princes, avec une précision de détails qui permet de reconstituer tout le train de vie galante où furent élevés ces aimables étourdis. Ils soupent. Souper des comédiens au Temple, chez le prince de Conti : les seigneurs sont assis à la première table, sur une estrade exhaussée de quelques degrés ; autour d’une table plus basse, chargée de fruits et de cristaux, ces demoiselles de la Comédie babillent et pincent de la harpe. Banquet offert par ce même prince de Conti, dans le parc de l’Isle-Adam, à un jeune étranger de distinction qui n’est autre que le duc de Brunswick, le futur généralissime de la coalition ; les belles dames, assises sur le gazon, lui prodiguent leurs grâces : sous peu d’années, Brunswick leur rendra ces politesses à Coblentz. — C’est le prophétique souper de Cazotte qu’il eût fallu peindre dans ce salon : voici quelques-uns des convives qu’il y priait.

Le Duc d’Orléans, Philippe-Egalité, en grand manteau du Saint-Esprit tout semé de flammes ; la magnificence du costume et l’air d’orgueil ne réussissent pas à déguiser la bassesse du personnage : elle suinte, avec la méchanceté, sur tous les traits du