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A qui est dû ce lamentable avortement ? A cet esprit d’exclusivisme qui fait pénétrer la politique dans toutes nos œuvres pour en éliminer les véritables forces sociales. On s’est longtemps plaint au XIXe siècle de l’émigration à l’intérieur, quand tel ou tel parti, au lendemain d’une révolution, se mettait à bouder et répondait aux avances par une abstention systématique. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’émigration, mais d’un ostracisme à l’intérieur qui frappe d’exil les hommes qui seraient prêts à se dévouer. La politique sage consiste à rattacher autour de soi, à rallier (il faut bien prononcer le mot) tout ce qui peut apporter un appui à la chose publique. Qu’un homme de parti, dans le sens violent du terme, soit écarté d’une œuvre à laquelle il refuserait de s’associer, qu’on ne l’appelle pas à la Préfecture dont il refuserait d’ailleurs de franchir le seuil, rien de plus juste ; mais qu’un bâtonnier de l’ordre des avocats, qu’un professeur de faculté, tous deux républicains, soient écartés d’une collaboration légale ; qu’on reconnaisse leur compétence, mais qu’on ose les bannir, parce qu’ils ne font pas partie de la coterie préfectorale : voilà qui fait comprendre, comment doivent inévitablement avorter toutes les œuvres d’Etat, dans un pays où on se prive volontairement des concours qui apporteraient aux institutions le mouvement et la vie.


III

La supériorité de l’association libre sur les désignations officielles n’a jamais éclaté plus visiblement qu’à l’occasion des Syndicats agricoles. La loi de 1884, destinée à mettre entre les mains des ouvriers une arme d’émancipation, venait d’être votée. Les législateurs n’avaient pensé qu’aux ouvriers de l’industrie, lorsque les agriculteurs s’emparèrent des textes, les étudièrent, préparèrent des statuts modèles, commencèrent une active propagande et parvinrent à mettre en mouvement [celle de toutes les classes de la nation qu’il semblait le plus difficile de remuer. En quinze ans, 2 200 syndicats, des unions de toutes sortes, en vue de la reconstitution du vignoble, de l’achat des engrais, de la vente des produits, prouvèrent ce que peut en notre pays l’association.

Il a dû se rencontrer, en face de ce mouvement, des fonctionnaires qui se sont lamentés et se sont dit qu’un législateur plus