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contre laquelle il convient, quand nous le lisons, de nous tenir en garde. Il est bien possible aussi que, dans les tableaux qu’il nous présente de son époque, il ait assombri les couleurs ; lui-même semble s’en apercevoir, puisque, par momens, il prend la peine de se corriger. C’est ainsi qu’après avoir dépeint avec une admirable vigueur les misères et les fautes de la société romaine depuis Néron, il se reprend tout d’un coup pour dire « Et pourtant, ce siècle ne fut pas tout à fait stérile en vertus » et il le prouve en énumérant les bons exemples qu’il a donnés. Sans doute ses préférences sont pour le passé, et il est disposé d’ordinaire à lui sacrifier le présent. C’était l’opinion générale autour de lui qu’on doit s’en tenir aux anciens usages et « qu’on ne change que pour faire plus mal. » Cependant il lui arrive de louer son temps et même, une fois, il va jusqu’à dire « Tout n’allait pas mieux avant nous, et notre siècle aussi a produit des vertus et des talens, dignes d’être proposés pour modèles. » Il faut lui savoir gré de ces efforts qu’il fait pour être juste.

Dans tous les cas, pour tempérer la sévérité de ses jugemens sur son époque, il suffira d’y mêler quelques teintes plus douces que nous irons prendre chez son ami, Pline le Jeune : ils se corrigent l’un par l’autre. Mais, bien que le contraste soit complet entre l’humeur soupçonneuse du premier et l’universelle bienveillance de l’autre, il y a un point sur lequel ils sont d’accord, et cette unanimité mérite d’être remarquée. Ils ont tous les deux, des empereurs, la même opinion ; ce que Pline est amené à nous dire de Tibère et de Néron ne diffère pas de l’idée que nous en donne Tacite, et ils ont également détesté Domitien. On ne peut donc pas dire que ce soit le pessimisme de Tacite qui lui a inspiré le jugement qu’il porte sur les Césars, puisque Pline, un optimiste si décidé, pense et parle comme lui.


V


Quelle influence ont pu exercer, sur les opinions de Tacite, sa naissance, ses relations, le monde qu’il a fréquenté, l’éducation qu’il a reçue ? La question se pose naturellement dans un pays