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par des attaques incessantes, tantôt indirectes et tantôt directes, un jour violentes et le lendemain sournoises, toujours perfides et trop souvent efficaces ; lorsqu’il a dénoncé cette conspiration menaçante et qu’il a fait appel à toute la Chambre pour la déjouer ; enfin, lorsqu’il a dit que la moindre défaillance, la moindre hésitation sur un point amèneraient l’effondrement de tout l’édifice, alors, certes, il était dans le vrai et il parlait le langage qui convenait aux circonstances. Nous le louons aussi, au risque de nous mettre en opposition avec un courant qui semblait général, de n’avoir parlé qu’au nom d’intérêts français et de ne s’être pas laissé entraîner, sous prétexte d’élargir le débat ouvert avec la Porte et de l’ennoblir, à mettre en cause d’autres intérêts encore, très respectables à coup sûr, mais dont nous n’avons pas la charge exclusive, et que nous n’aurions pas pu évoquer sans nous exposer au danger ou de rester isolés, ou de faire naître des complications pour lesquelles personne n’était prêt.

On comprend, sans qu’il soit besoin d’y insister davantage, qu’il s’agit ici de la question arménienne. M. Sembat et M. Denys Cochin ont mis cette fois une égale chaleur à la traiter, et cette chaleur a été si communicative que la Chambre a subitement pris feu pour les Arméniens. Elle a d’abord voté la priorité d’un ordre du jour qui, oubliant tout le reste, ne visait plus que le problème arménien et chargeait expressément le gouvernement de le résoudre. Où allions-nous ? Nul n’aurait pu le dire. Par bonheur, la Chambre s’"est arrêtée à temps. Mais le Sultan lui-même fera bien de prendre garde, en présence de ces entraînemens de l’opinion, au danger qu’il courrait, s’il faisait renaître des incidens qui auraient dès lors une tendance irrésistible à se transformer en questions générales.

Non pas, encore une fois, que nous cédions aveuglément à cette tendance. Les Arméniens sont sans doute très intéressans, parce qu’ils ont beaucoup souffert. Il y a quelques années, la fibre humaine a été profondément remuée dans toute l’Europe, lorsqu’on a appris les odieux massacres dont ils étaient victimes : à partir de ce moment, il y a eu dans leur cause quelque chose de sacré. La France a été particulièrement émue par ces abominables hécatombes, et, toutes les fois que le souvenir s’en présente à sa mémoire, elle éprouve un sentiment qui n’est pas exempt de quelque remords. Mais a-t-elle vraiment un reproche à se faire ? A-t-il dépendu d’elle d’empêcher le sang de couler, comme il l’a fait, hélas ! avec une cruelle abondance ? Enfin, est-il équitable de rejeter sur elle seule une responsabilité qui, à supposer qu’elle existe, appartient à tous ? Certes, nous sommes