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temps à notre égard un esprit d’indépendance auquel nous n’étions pas habitués. On dit que le Sultan a lancé un iradé pour interdire le territoire ottoman aux Jésuites venus de France : si le fait est vrai, c’est une énormité qui, dans un pays de Capitulations, témoigne d’une audace entreprenante dont il faut nous tenir pour avertis. Ce qui est sûr, c’est que la Porte s’est crue en mesure d’inaugurer à l’égard de nos écoles et de nos établissemens hospitaliers, c’est-à-dire des principaux instrumens de notre influence en Orient, une politique qui ne saurait se poursuivre sans la ruiner à bref délai. Nous avons construit et ouvert dans l’Empire des écoles que la Porte s’obstinait à ne pas reconnaître. Elles ont droit à de certaines exemptions d’impôts qui leur ont été refusées. Quant aux établissemens français, et ils sont nombreux, qui ont été détruits pendant les troubles arméniens, nous avons jusqu’à présent été empêchés de les relever. Enfin il n’est pas jusqu’à la reconnaissance du patriarche chaldéen, qui n’ait subi de longs retards : pourquoi ? parce que ce patriarche est notre protégé. Sur tous les points de l’Empire, nous avons rencontré la malveillance ou l’opposition formelle des autorités impériales, et, lorsque nous nous sommes adressés à la Porte pour lui demander justice, les dispositions qu’elle nous a montrées sont précisément celles qui sont devenues publiques dans l’affaire Lorando. Ab uno disce omnes : ce qui s’est passé dans un cas se passait dans tous. Et voilà comment, dans l’affaire Lorando, il s’agissait, ou du moins il s’est agi bien vite de tout autre chose que de Lorando. Quand une situation est mauvaise dans son ensemble, on la prend par le premier côté qui se présente, mais on la traite alors de manière à n’avoir plus à y revenir. C’est ce que nous avons fait.

Évidemment, si, le lendemain même du départ de notre ambassadeur, la Porte nous avait donné satisfaction, les choses n’auraient pas été plus loin. N’ayant eu à employer qu’un moyen de pression pacifique, nous n’aurions pas étendu nos premières exigences : l’incident aurait été immédiatement terminé. Il semble bien qu’on s’attendait à ce prompt dénouement au quai d’Orsay ; mais on se trompait. Le Sultan, ayant cessé de subir l’ascendant moral de la France, ne pouvait plus être sensible qu’à la force : le mieux aurait donc été de la lui faire sentir tout aussitôt. On a préféré attendre, et il s’est mis encore plus dans son tort. Enfin, nous nous sommes décidés à envoyer nos vaisseaux à Mitylène. Le Sultan s’était fait, ou on lui avait suggéré une telle opinion de la France, que la nouvelle du départ de notre flotte n’a pas suffi à le convaincre de ce qu’il y avait de