Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une alliance anglo-saxonne ; mais, d’un autre côté, l’Angleterre ayant partout de grands intérêts et des ambitions démesurées, toute solidarité anglo-saxonne pourrait imposer à l’Union nord-américaine des obligations gênantes et dangereuses. Au point de vue économique, les États-Unis s’étant ralliés à un protectionnisme outrancier, dont ils commencent à peine à s’écarter, ils n’ont aucune raison de désirer un rapprochement commercial entre eux et l’Angleterre. Mais la situation est tout autre entre les Républiques hispano-américaines et l’Espagne. Celle-ci n’ayant plus de possessions territoriales en Amérique, elle ne saurait porter ombrage à ses anciennes colonies ; n’ayant nulle part de grandes ambitions à réaliser, son amitié ne saurait inquiéter les États disposés à se rapprocher d’elle ; enfin les pays sud-américains et central-américains n’ayant ni la prospérité économique des États-Unis, ni leur ambition de se suffire à eux-mêmes, ils pourraient trouver un avantage dans un rapprochement commercial avec l’Espagne. Il y avait donc, dans cet ensemble de circonstances, des raisons pouvant faire supposer que l’initiative de l’Union ibéro-américaine serait plus favorablement accueillie dans l’Amérique latine que les avances de M. Chamberlain dans l’Amérique anglo-saxonne.

À ces raisons s’en ajoutait une autre d’une nature assez différente. Nous voulons parler de l’inquiétude que ne peut manquer d’inspirer aux Républiques hispano-américaines la tendance toujours plus marquée des États-Unis à se prévaloir de la doctrine de Monroë, détournée de son sens primitif, pour étendre leur hégémonie aux deux Amériques. La conquête des colonies espagnoles a été un premier pas dans cette voie, et la politique du gouvernement de Washington, dans le sens pan-américain, est un indice de ses visées ambitieuses. Après avoir organisé, à Buffalo, une Exposition pan-américaine, il a consacré tous ses efforts au succès du Congrès pan-américain convoqué à Mexico pour le mois d’octobre 1901, en vue de rapprocher les États des deux Amériques. Combinant même la politique d’intimidation avec la douceur, il est allé jusqu’à prendre une attitude presque comminatoire à l’égard du gouvernement du Chili, lequel avait manifesté l’intention de n’assister au Congrès de Mexico que moyennant certaines garanties. Il n’est donc pas impossible que les États hispano-américains, dans la crainte d’être absorbés, ou simplement dominés, par la grande république anglo-saxonne,