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nouveaux thèmes. Il se peut que la faiblesse de leur exécution vienne de leur insincérité autant que de leur inexpérience ; mais un écrivain finit toujours par se persuader de ce qu’il entreprend de persuader aux autres, et le succès lui fait une conviction.

Sur les planches du Meïji-za, entre une farce chinoise et une comédie héroïque, j’ai vu, dans un mélodrame, où les acteurs, bien qu’ils eussent revêtu le costume européen, s’accroupissaient encore autour du brasero, un vieux colonel accuser sa jeune femme de trahison, et, après une scène fort émouvante, la congédier en écrasant des larmes au coin de sa paupière. Suspendez au vestiaire des comédiens japonais une redingote et un chapeau haut de forme : l’adultère sort de la cantonade.

En ce même temps, le théâtre moderne, fondé par un groupe de jeunes, représentait une pièce tirée d’un des romans du réaliste Koyo que toutes les femmes se disputaient et qui s’intitulait L’Argent est le Diable ou l’Amour et l’Argent. Là, j’ai entendu de vrais cris de passion :


O Mya, Mya-san, disait le jeune homme pauvre à sa fiancée qu’un banquier menaçait de lui ravir, tu vivras dans la richesse, mais penseras-tu au triste cœur que tu as dédaigné pour de l’argent ? Tout l’argent du monde n’achète pas un peu d’amour, de sincère et pur amour ! Un oiseau qui vit de dix grains de riz peut-il en manger un sac ? Près de moi, tu n’as pas à craindre d’être privée des dix grains qu’il te faut… Vois, ma colère se fond en pitié… Si tu m’abandonnes, je serai ta mauvaise action qui se dressera devant toi, par-delà le tombeau, et te rongera le cœur…


Plus habiles que les dramaturges, les romanciers, surtout les nouvelliers, exploitent les vices de l’organisation familiale et les misères du divorce. Les critiques japonais leur demandent de faire des Case de l’oncle Tom. Et, malgré leurs longueurs, la vérité minutieuse de leurs récits atteint souvent au pathétique.

Enfin, deux types nouveaux se dégagent peu à peu de cette pénombre d’art où s’infiltrent des lueurs étrangères. L’un, celui de la jeune fille qui veut choisir son mari, nous paraît encore bien gauche, et parfois même d’une audacieuse et déplaisante gaucherie. L’indépendance ignorante de ses bornes, dès ses premiers pas, touche souvent au cynisme : témoin l’histoire, racontée gravement, d’une jolie femme qui divorce sept fois avant de rencontrer chez un homme une aveugle confiance digne de son amour. L’autre, celui de l’amoureux moderne : il porte des