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de leur peine qu’on persistait à garder sous les verrous. La volonté qui a déterminé ces détentions reste seule maîtresse d’en fixer le terme. Napoléon dit à peu près littéralement de Palafox ce que Louis XIV a dit du Masque de fer : « Il faudra que personne ne sache ce que cet homme sera devenu. »

Envers les personnes, le régime impérial continua donc, avec moins d’exaltation dans la violence, le régime républicain. Envers les idées, il revint à l’étroite compression des anciennes monarchies absolues. Dès janvier 1800, Fouché, qui se prenait à rejeter sur la licence de la presse les excès de la Révolution, faisait disparaître à Paris 60 journaux sur 73 ; depuis, il s’ingénia à rendre l’existence difficile à ceux, toujours plus rares, qui survécurent. Le traitement qu’il infligea aux Débats donne la mesure de ses sentimens envers tous ; il leur imposa un sous-titre, un censeur attaché à leur rédaction, des collaborateurs à sa dévotion, l’acquittement de pensions prélevées sur leurs bénéfices. Au théâtre, ses censeurs se préoccupaient de prévenir les manifestations irrévérencieuses du parterre en supprimant toute phrase susceptible de se prêter à des allusions, en écartant d’emblée certains sujets ou certains personnages. Les pièces anciennes n’étaient pas épargnées. Lemontey biffe soixante vers çà et là dans Athalie, sauf à substituer, si des raccords sont nécessaires, ses hémistiches à ceux de Racine. Dans le même ordre d’idées, Fouché poursuit les livres relatifs à l’histoire moderne de la France et à la maison de Bourbon ; il arrête à la frontière les Considérations sur la France, de Joseph de Maistre ; à la veille de sa chute, il met l’interdit sur la Partie de chasse d’Henri IV, par Collé. Il fait pis que supprimer les témoignages dangereux, il les falsifie. Le comte de Vauban, emprisonné au Temple, est trouvé porteur d’un manuscrit plus ou moins complet où il a raconté la guerre de Vendée avec une franchise parfois amère pour ses compagnons d’armes. Avec ou sans son consentement, une main officieuse y accentue par des retouches partielles la note hostile aux royalistes, et l’ouvrage interpolé paraît sous le nom de Vauban, sans que l’auteur responsable ose élever la moindre protestation.

Ainsi, jusqu’en 1810, la liberté individuelle, la liberté de la presse, légalement garanties, subirent, au nom du salut public, des violations répétées, inspirées par Napoléon, consommées par Fouché. Les deux commissions sénatoriales chargées de veiller