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extrait d’une remontrance des vieux Parlemens : « Quand il y a trop de police, il n’y a pas assez de justice. » Qu’on parcoure les nombreuses lettres de l’Empereur à Fouché, jadis prudemment écartées du recueil de la correspondance officielle et publiées depuis par M. Lecestre ; c’est bien leur auteur qui, en dépit de certaines déclarations où son esprit de modération intelligente reprend parfois le dessus, a érigé son bon plaisir en force de loi et assumé la principale responsabilité. Au cours de ses campagnes, les bulletins sortis de l’hôtel de la police, recueil de « nouvelles à la main, » de révélations moitié politiques, moitié scandaleuses, se mêlaient sur sa table aux rapports et aux correspondances militaires. Non moins attentif aux informations de Fouché qu’à celles de Berthier, il expédiait, d’un mot rapide, à Paris, des ordres d’emprisonnement, d’exil, d’exécutions sommaires. Heureusement le ministre crut expédient, en certaines circonstances, d’éluder les mesures prescrites ou d’en restreindre la portée ; car, selon le mot de Mme de Staël, il avait pour système de faire le moins de mal possible et tirait de ses lumières ce que d’autres puisent dans leur conscience.


II

Fouché ministre de l’Empire paraît s’être inspiré tout simplement de la formule politique du Directoire : Ni royalisme ni anarchie. Il s’appliqua en effet à asseoir et à équilibrer le nouveau pouvoir entre le péril de droite et le péril de gauche ; mais il ne combattit guère que le premier, car, sans le croire redoutable dans le présent, il le trouvait représenté par une faction irréconciliable. Du second, il se préoccupait peu, les adversaires qu’il rencontrait de ce côté lui semblant, par son propre exemple, des précurseurs plus ou moins consciens d’un régime démocratique et autoritaire. Une pensée lui demeurait commune avec les derniers jacobins, c’est qu’au-dessus de la liberté subsistait la Révolution, c’est-à-dire un ensemble d’institutions, de conquêtes si l’on veut, dont Napoléon avait pris ostensiblement la garde. L’obéissance de tous, muette ou explicite, à l’Empire s’expliquait par leur crainte instinctive du retour de l’ancienne dynastie. Ils supportaient comme un pis-aller le nivellement sous une épée victorieuse des rois, et l’égalité dans la soumission leur semblait une liberté remplaçant toutes les autres.