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conviction profonde de son âme, la tension énergique de sa volonté vers le but qu’il a marqué à sa vie inspirent heureusement Wagner dans sa prédication, et nous reproduirons encore l’homélie touchante qui ouvre la trente-quatrième Promenade du Dimanche, confiant dans la patience de lecteurs sans doute peu blasés sur la rencontre de semblables cultivateurs :


Oh ! quelle affreuse erreur de l’humanité que de considérer les animaux comme créés pour elle, et destinés à servir sans ménagemens ses caprices ! C’est là une illusion criminelle, qu’une voix impérieuse me prescrit au dedans de moi de combattre. Chaque être existe avant tout pour jouir de la vie. Et j’entends déjà cette réponse que les seules nécessités de notre nourriture défendent de laisser vivre tous les animaux. Il est vrai, je ne puis le nier et ne prétends pas m’avancer si loin. Mais je voudrais dire seulement sur le ton de la prière : avant de prononcer une condamnation à mort, pèse longuement si tu n’aperçois aucune, mais bien réellement aucune autre solution. Car le fait que tu as fourni sa pitance à l’être que tu menaces n’ajoute rien à ton droit sur lui. Si tu prends sa vie en retour de ce que tu as fait à son égard, tu lui auras, tout considéré, soustrait plus encore que tu ne lui as donné, et les dons seront semblables à ceux de l’usurier qui réclame deux cents pour cent de ses victimes. Si tu es pitoyable, au contraire, tu reconnaîtras que les puissances dispensatrices du bonheur et de l’affliction se montreront à ton égard plus favorables, plus douces et plus protectrices.

Oui, toi en particulier, qui es père ou mère, et, par ce fait, plus vulnérable en tes affections que l’œuf privé de sa coquille, efforce-toi doublement d’être pitoyable, si tu veux que pitié soit accordée à tes enfans… Ne provoque pas les puissances que tu ignores, et, si tu n’es pas charitable par amour, sois-le du moins pour y trouver ton avantage. Oui, pour ton avantage ! car l’amour et la pitié sont la seule monnaie par laquelle tu puisses payer le tribut de ta vie. Paie donc, afin que le destin, ce grand exécuteur, ne saisisse pas par contrainte ce qui t’appartient, afin qu’il ne te prenne pas, de sa propre autorité, ce que tu donnerais alors avec plus de regret. Paie, et, si ce n’est pas de bonne grâce, que ce soit du moins par frayeur. Enfin, si tu ne peux estimer un être à cause de son apparence rebutante, estime-le pour l’amour que sa mère a dépensé en sa faveur, ou encore pour l’amour que lui-même est capable de répandre autour de lui.

Oh ! laisse-donc tomber quelques miettes de ton affection sur le pauvre monde animal, qui aspire à l’amour, sur le chat qui pose sa petite patte sur ton bras et sa tête sur ton épaule, mendiant de l’amour ; sur le chien qui bondit joyeusement à ta rencontre, et pour qui un mot amical est un réconfort ; sur la vache en son étable, qui te jette un regard joyeux, lèche ta main et tend son cou pour que tu le flattes ; sur la poule, pour qui ton cri d’appel est un Benedicite, à l’heure de son repas, et dont le caquetage est une action de grâces.

Et il ajoute encore ailleurs :