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de sa fantaisie. On pourrait même juger avec quelque raison qu’il abuse de ce thème incessamment repris, s’il ne fallait reconnaître, au plaisir qu’on y goûte, que nul autre n’est plus favorable à la peinture animée de la nature, dont la vie se môle ainsi d’intime manière à l’existence humaine, à ses joies, à ses peines, à ses gloires comme à ses catastrophes. — Nous nous abstiendrons de citer dès à présent des exemples sur ce point, car on trouvera dans la suite de cette étude les plus originales parmi les applications que Christian Wagner ait données de sa palingénésie champêtre, et nous nous contenterons de faire connaître quelques-unes de ces imaginations ingénieuses qui permettent parfois à notre prophète de la métempsycose de réincarner jusqu’à des pensées fugitives, des sentimens fragiles et des vœux immatériels.

Ainsi la rose lui apporte sans cesse le souvenir de sa mère, et quand sa corolle triomphante s’épanouit sous la lune d’été, il semble au poète qu’il aperçoive le regard maternel pour un instant rallumé, et qu’il jouisse d’une demi-réunion par le reflet de ces yeux chéris[1]. Ailleurs des liserons viendront ressusciter ce regard éteint[2], par les sentiers où jadis il se posa tendrement sur l’enfant, qui en garde si pieusement la mémoire. Ou encore, dans les mêmes chemins[3], un papillon volette çà et là, portant sur ses ailes le reflet d’azur des iris. Sept fois, il a traversé la route : sept fois, il s’est abaissé vers la surface limpide du ruisseau. « Papillon bleu d’iris, ta rencontre me cause une impression si rare, si étrange ! N’es-tu pas un esprit qui vient à ma rencontre ? N’est-ce pas quelque chose comme la bénédiction de ma mère qui a volé devant moi ? »

On ne se lasserait pas d’égrener ce chapelet de perles poétiques dans lesquelles s’unissent si intimement les reflets de la nature et ceux de la vie du cœur.


Un vieillard se promène par la forêt, et des papillons bleus, ou dorés, voltigent autour de lui. Il revoit en eux les songes envolés d’une jeunesse en fête : les pensers délicieux du bel âge écoulé le saluent sur les tiges capricieuses de ces roses sauvages : les joies innocentes de l’enfance lui font signe en ces fleurs étoilées. Du haut de sa dignité suprême de personne humaine, il jouit du privilège de contempler avec conscience la joyeuse

  1. I, 20.
  2. III, 18.
  3. II, 20.