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Mille fois, voyageur fatigué et rassasié de la vie, j’irai goûter le sommeil ; mille fois, je ressusciterai, corps glorieux dans la cité bienheureuse. Mille fois, je boirai l’oubli au fleuve du Sommeil, mille fois je reviendrai rajeuni dans le temple céleste. Mille fois, je prendrai congé de la terre sous la sombre porte ; mille fois, je mêlerai de nouveau mes accens au chœur des bienheureux.


Enfin, tout prêt à retomber dans son péché mignon, et à abuser de ses fantaisies scientifiques, Wagner nous peint une autre fois sa rencontre avec une jeune fille ravissante, qui offre à s’y méprendre les traits de Clara, mais d’une Clara dans la première fleur de l’adolescence. C’est elle-même, à n’en pas douter, et pourtant la belle enfant ne paraît pas reconnaître Oswald. Ne pourrait-on penser, se dit alors le poète, que, il y a trente ou quarante ans peut-être, de petites « pierres de mosaïque » détachées du corps de Clara se sont rejointes depuis lors pour former un groupement analogue à son aspect de jadis ? Et, si la gracieuse fille passe auprès d’Oswald sans remarquer sa présence, c’est que, sans doute, les « pierres de mosaïque » auront été séparées de Clara avant qu’elle connût son époux[1]. N’est-ce pas encore l’idée de l’Eternel Retour, traduite cette fois avec une précision un peu lourde, et une exagération plus évidente encore à cause de la brièveté du temps écoulé entre les deux incarnations de Clara ; mais telle en somme que la pouvaient concevoir un Heine, ou un Blanqui ?

Nous avons donc retrouvé, fort nettement dessinées dans l’œuvre de Christian Wagner, les différentes formes que l’imagination des philosophes prête à la migration des atomes pourvus de leur âme élémentaire. Mais la migration des âmes proprement dite, par le fait même qu’elle est infiniment plus propre à la poésie, y apparaît bien plus largement représentée. Elle fournit, on peut le dire, la trame même des broderies capricieuses exécutées par le délicieux artiste, et toute la suite de cette étude en offrira de surabondans exemples.

Il faut malheureusement s’arrêter d’abord un instant à la nuance grossière et toute matérielle encore que nous avons constatée chez les peuplades primitives, car elle ne fait pas plus défaut dans ces pages que ses sœurs mieux parées des grâces de la poésie. C’est la conception répugnante du rôle régénérateur joué par l’animal mangeur de cadavres. Lisons dans les Nouveaux

  1. Nouveaux poèmes, p. 146.