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qui, jetant d’abord sur lui un long regard pensif, prend enfin la parole en ces termes :


Hélas ! combien l’humanité est peu clairvoyante, malgré le pouvoir de ses yeux ! N’as-tu pas reconnu, pauvre aveugle, qu’elle a marché devant toi sans cesse, dans la flore de ces champs, sous une robe de verdure, et que, là-bas, sur la haie où la rose églantine s’entr’ouvre, ta bien-aimée t’a salué, le regard brillant ?


Mais nous risquons d’empiéter ici sur le terrain de la métempsycose métaphysique et animiste, que nous nous réservons de parcourir tout à l’heure sur les traces de notre poète. Revenons à la pure migration des atomes matériels. Christian Wagner a-t-il connu quelque chose de Nietzsche ou plutôt de ses précurseurs ? S’est-il vu conduire par une simple opération logique, facilitée par ses dispositions mathématiques, vers la doctrine de l’Éternel Retour ? Quoi qu’il en soit, il sait que les allées et venues des atomes terrestres ne seront pas toujours restreintes à la surface de ce globe ; que, si la terre refroidie doit être morcelée, réduite en poussière par l’action du temps, tous les élémens en seront conservés dans l’univers ; qu’il n’en manquera pas à l’appel la plus petite particule ; et que ces particules ou poussières semées dans l’espace contribueront à reformer, au cours de millions de siècles, des mondes nouveaux. « Qui pourrait dire combien de fois déjà notre existence terrestre s’est répétée, ni combien elle se répétera encore ? » dit Clara à son Oswald tandis qu’ils contemplent, côte à côte, au sein des espaces célestes, par le procédé optique que nous avons indiqué, la cérémonie de leur propre mariage.


Mais sais-tu bien, Oswald, que ce n’est pas là tout à fait notre terre ? continue cette clairvoyante épouse. Moi aussi, je l’ai pensé d’abord, à cause de l’étonnante identité du paysage, des fiancés et des autres invités de la noce que j’ai tous aussitôt reconnus. Mais, en y regardant de plus près, on constate pourtant quelques légères différences, surtout quant à la végétation. J’en pourrais donc conclure que sur des planètes diverses mais tout à fait analogues, du sein de mères différentes aussi, mais également analogues entre elles, en des circonstances semblables, nous renaissons sans cesse à nouveau, pour parcourir notre carrière dans les mêmes chemins.


Et voici qui est plus lyrique[1] :

  1. III, 12.