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heureusement aux penchans humanitaires et vaguement socialistes de 1848. Wagner peut bien mettre en vers, assez médiocres du reste, la « Création naturelle » d’Hæckel, il n’est pas son disciple en morale, et se contente d’ordinaire de puiser dans ces enseignemens nouveaux des inspirations poétiques qui ne sont pas sans grâce. — Ainsi, quand il voit se dresser sur la bruyère crayeuse les pulsatilles et les clochettes bleues du temps de Pâques, il songe aux organismes innombrables des mers préhistoriques dont les squelettes calcaires ont formé ce sol : il lui paraît que les flots azurés d’autrefois rendent leurs morts au jour dans ces chênes, dans ces bouleaux, ces fraisiers ou ces genièvres[1]. Il évoque les Nixes des mers disparues et prête l’oreille à leur voix :


Nous sommes les demoiselles de la mer, retenues par un enchantement dans ces pétrifications marines. Le roi des nains de la terre nous emprisonna jadis dans la montagne, mais la reine des coquillages aspire parmi nous à sa délivrance. Les coraux, eux, se sont déjà réveillés pour se faire baies de genièvre et se parer sans hâte en trompant de leur mieux leur ennui. — Voyez, le roi des nains nous traite cependant avec douceur pour nous faire oublier notre captivité ; il nous a revêtues de ces toisons végétales, éclatantes, chaudes et moelleuses. Nous demeurons longtemps solitaires sur la lande pierreuse, et, à l’approche d’une jeune fille qui vient nous contempler, d’un enfant qui moissonne nos fleurs, nous croyons revoir les poissons chatoyans qui nous visitaient jadis[2].


La légende s’achève par la prophétie de nouveaux bouleversemens géologiques :


En ce jour de Pâques, nous regardons toutes si nous n’apercevons pas enfin l’armée des nôtres, les vagues écumantes et les plis de notre bannière, l’aurore boréale, déployée au-dessus des murs de notre cachot. Quand les eaux reprendront l’empire du monde, notre reine nous délivrera toutes ensemble : nous serons de nouveau les demoiselles de la mer et nous pourrons nager à cœur joie.


Initié de la sorte à l’histoire de l’enveloppe terrestre, Wagner sait aussi la grandeur et la décadence des famiJles du monde végétal et donne parfois une interprétation éloquente à des souvenirs scientifiques, qui seraient facilement pédantesques[3] :

  1. I, 3.
  2. III, 2.
  3. Sonntagsgaenge. 1, 18 et 23.