Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Cherchons maintenant à pénétrer plus avant dans la pensée de cet homme des champs, qui, l’on en conviendra sans doute après une première présentation, paraît bien digne d’une étude intime et sympathique. Et d’abord, donnons quelque page à l’inspiration chrétienne qui fait le fond de sa pensée, à ce point que sa prétendue doctrine nouvelle n’en sera guère qu’une extension trop souvent imprudente, et une interprétation parfois inconsidérée. Si Christian Wagner n’est pas demeuré un luthérien fort orthodoxe, les enseignemens de l’Evangile ont du moins marqué son esprit d’une profonde empreinte. Comment en serait-il autrement, d’ailleurs, chez qui a vécu en si incessant commerce avec l’âme de la nature agreste, âme que quinze siècles de christianisme ont modelée et façonnée à l’image des représentations religieuses imprimées dans les cerveaux populaires ? Le nom biblique de certaines plantes, les détails des cérémonies du culte, les souvenirs de dévotion et de recueillement se croisent sans cesse dans la mémoire du Promeneur du Dimanche, eu ce jour du Seigneur, qui, par une influence secrète, semble mettre toutes choses en disposition émue et joyeuse. — On ne saurait donc s’étonner s’il va chercher, plus d’une fois, dans le trésor des impressions léguées par son enfance religieuse, les symboles floraux qu’il aime offrir à ses lecteurs. — Dans la forêt où il fait sombre ainsi qu’en une cathédrale, les muguets du printemps lui apparaissent comme d’innombrables enfans de chœur[1], modestement agenouillés au pied de la colonnade infinie des troncs, devant l’autel des buissons fleuris : leurs mains tiennent de petites clochettes d’argent, ou encore des encensoirs odoriférans pour annoncer et fêter la présence du Seigneur. Les clochettes bleues de mai disent à leur tour des confidences de pureté, de prière, d’aspiration vers le ciel[2]. Les Muets ont revêtu leurs plus beaux atours pour s’associer à la célébration de la messe dominicale[3]. Les anémones sont des filles de Jérusalem, qui, dans leur capuce de lin rabattu sur leur visage,

  1. I. 12.
  2. I, 18.
  3. II, 13.