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mains du « pouvoir civil, » ce qu’on appelle un instrument de règne, une Eglise « nationale » cesserait tôt ou tard d’être même une Eglise, et ne serait plus qu’une « branche de l’administration. » Il a compris qu’au-dessus, ou, si on le veut, à côté des intérêts dont l’Etat a la charge, il y en a d’autres, qui sont comme le terme ou la borne de ses droits, et que, par conséquent, on ne saurait livrer à l’Etat. Si l’Etat n’est pas juge des croyances, comment en serait-il le maître ? Et, ne pouvant nous obliger à croire, comment lui confierons-nous le soin de fixer les termes d’un Credo ? C’est ce que ferait pourtant une Eglise « nationale. » Et l’instinct national a compris que, si l’objet de la croyance était menacé par l’Etat, il fallait qu’il y eût dans le monde une autre autorité, d’un autre ordre, pacifique et modératrice, qui fût investie du pouvoir de définir, de déterminer, ou de défendre l’objet de la croyance. Une Eglise de fonctionnaires pourrait-elle être cette autorité ? Nous avons essayé de montrer qu’elle ne la serait pas. Mais, si rien n’a changé depuis lors, c’est-à-dire si la même question se pose toujours dans les mêmes termes, à nous maintenant de savoir ce que nous voulons faire ; si nous tomberons dans le piège où ne sont jadis tombés ni les contemporains de Napoléon, ni ceux de Louis XIV ; et si nous sacrifierons à l’inutile vanité d’avoir une Eglise « nationale » la liberté des consciences, les intérêts de la morale, et la dignité de la religion. Car c’est le moins qu’il nous en coûterait.


FERDINAND BRUNETIERE.