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d’essayer de montrer. Il nous reste maintenant à dégager celle juste notion de la société religieuse des argumens que l’on invoque en faveur de la formation d’une Eglise « nationale. »


III

Je ne parle pas ici des philosophes qui n’y veulent voir qu’un premier pas, et comme qui dirait l’origine d’un lent acheminement de l’humanité vers ce qu’ils appellent « l’irréligion de l’avenir. » Il suffit de savoir qu’ils existent, et d’ailleurs que, sous le nom même d’irréligion, beaucoup d’entre eux ne font profession d’aucune hostilité contre les religions existantes : ils les regardent seulement comme destinées à disparaître, ou, pour mieux dire, à se fossiliser ; et, en attendant que le jour en soit venu, puisqu’il faut, comme ils disent, « une religion pour le peuple, » — moi, je croirais volontiers qu’il en faut surtout une pour les « classes dirigeantes ! » — la formation d’une Eglise nationale n’est guère, à leurs yeux, qu’un moyen transitoire de concilier le souci de l’avenir avec le respect du passé. C’est M. Guyau, je crois, qui a inventé cette expression d’irréligion de l’avenir. Mais une publication périodique, aujourd’hui disparue, La Critique Religieuse, a dix ans vécu des mêmes idées. Elle était dirigée par le seul philosophe ou le seul penseur original que nous ayons eu depuis Auguste Comte : c’est M. Charles Renouvier. L’influence en a été considérable, et c’est là, dans La Critique Religieuse, que beaucoup de nos « politiciens » ont fait leur éducation philosophique. Nous définirions, je crois, leur idéal assez correctement, si nous l’appelions l’acheminement du gallicanisme à l’incrédulité totale par le moyen de la laïcisation.

Cependant, moins touchés de l’importance intrinsèque et proprement religieuse que de l’importance politique des idées religieuses, quelques autres partisans de la formation d’une Eglise nationale, parmi lesquels, si l’on cherchait bien, on trouverait jusqu’à des évêques, voient surtout dans la formation de cette Eglise un moyen d’assurer, et en tout cas, de consolider l’unité de la patrie française. Et de fait, en France, il n’est pas douteux que, depuis une trentaine d’années, nous ne soutirions de rien tant que de nos divisions. Il n’est pas douteux non plus qu’en principe et métaphysiquement, l’union, et l’unité, qui n’en est que la manifestation extérieure, ne soient de très grands