Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est en vain que le prêtre aurait alors privément toutes les vertus qu’on exige d’un saint, et j’admets qu’il les eût, mais sa situation serait celle d’un « fonctionnaire, » et l’Eglise ne serait plus qu’une administration, comme l’Enregistrement ou le Timbre. On serait curé comme on est percepteur ; on serait évêque comme on est trésorier général. On avancerait comme dans le « civil » ou dans le « militaire : » un tour à l’ancienneté, deux tours au choix ; et ce serait naturellement le gouvernement qui choisirait. De la main du directeur des Cultes, qu’on nommerait d’un nom plus sonore, l’évêque recevrait ses vicaires généraux, ses curés, ses secrétaires, ses chanoines ; le ministère le déplacerait, selon les besoins du service, d’un bout de la France à l’autre bout, et, par hasard, s’il faisait mine de résister, on le mettrait « en disponibilité ! » N’est-ce pas alors qu’on aurait une Eglise vraiment « nationale ? » Elle le serait bien plus encore si l’on mariait les prêtres, et qu’on leur interdît de porter la soutane ! Quelques maires de France ont pris, comme l’on sait, des « arrêtés » en ce sens. Je veux qu’on les ait annulés. Mais les annulera-t-on toujours ? Et, en attendant, sans appuyer plus qu’il ne faut sur cette question de forme, ce qui est bien certain, c’est que moins il y aura de différence entre le laïque et le prêtre, plus une Eglise en sera « nationale » ou « d’État ; » et, en ces termes généraux, c’est bien lace que l’on voudrait : faire du prêtre un « fonctionnaire » et confondre ou unir intimement en lui, comme dans la Rome antique, ce que le christianisme est précisément venu séparer dans le monde, les droits de la conscience, même « errante, » et les droits de l’État, ou, si l’on veut encore, la morale et la politique.

Car il faut bien s’en rendre compte : une religion « nationale » ou « d’État, » — qu’elle soit celle de Louis XIV, de Calvin, ou de Robespierre, — c’est encore, et de plus que tout ce que nous avons dit, la confusion de la morale et de la politique. Elle ne contraignait tout à l’heure que les « idées » sous la loi de son enseignement officiel, et on l’eût pu croire enfermée dans l’école ou dans l’Eglise. Mais, aux yeux des hommes politiques, les « idées » ne prennent d’importance ou d’intérêt, elles n’existent à vrai dire qu’autant qu’ils les jugent capables de se traduire en « actes ; » et ainsi, par l’enseignement d’abord, puis ensuite par la loi, c’est de la conduite entière qu’une Eglise ou une religion « nationales » voudront nécessairement