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déguiser à lui-même ce que l’alternative avait de monstrueux. En détruisant les temples et en exilant les ministres, en vain a-t-on écrit, dans l’acte même de révocation : « Faisons très expresses défenses à tous nos sujets de la R. P. R. de sortir, eux, leurs femmes et leurs enfans, de notre dit royaume, pays et terres de notre obéissance ! » Et, en vain, si les protestans de France contrevenaient à ces « défenses, » les a-t-on même menacés, les hommes des galères perpétuelles, et les femmes de la confiscation de leurs biens. L’alternative qu’on leur proposait, ou plutôt qu’on leur imposait, était bien celle que nous avons dite : l’exil ou l’abjuration ; le sacrifice de leur conscience ou celui de leur patrie ; renoncer à la France en ce monde ou à ce qu’ils regardaient comme la condition, le moyen, la promesse de leur salut dans l’autre ; et briser enfin les liens qui les rattachaient à tout ce qui fait ici-bas pour l’homme le prix de la vie, ou fouler lâchement aux pieds la religion de leurs pères, de leur enfance, et de leur choix.

C’est précisément ce que viennent de faire, — avec d’ailleurs bien plus d’hypocrisie, — la loi de 1901 sur « la liberté d’association » et le décret qui l’a suivie. « Défendons les écoles particulières pour l’instruction des enfans de la R. P. R. » disait l’article VII de la révocation de l’Edit de Nantes. Si la loi de 1901 n’a pas osé, je ne sais vraiment pourquoi, rééditer cette défense, il est clair, aux yeux de tout le monde, à l’étranger comme en France, que les mesures qu’elle a prescrites contre les congrégations enseignantes y équivalent ; et, pour les congrégations qui n’enseignent pas, elle en a placé les membres dans l’alternative où la révocation de l’Edit de Nantes, voilà deux cents ans, avait placé les protestans de France. On a exigé des membres des congrégations, hommes ou femmes, comme autrefois de nos protestans, sous peine de « dissolution » ou de dispersion par la force, le sacrifice de leurs convictions les plus intimes, celles sur lesquelles ils avaient fondé toute une vie d’abnégation, de dévouement et d’austérité ; celles qui tiennent donc, en chacun de nous, à ce que nous avons de plus personnel ; celles qu’un « honnête homme, » — je ne dis pas même un catholique ou un « religieux, » — dès qu’il les a une fois affirmées, ne saurait renier sans honte, ou sans diminution de lui-même à ses yeux ; celles dont la civilisation moderne se vantait, comme de sa conquête la plus glorieuse, d’avoir assuré pour jamais