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social, tels sont les traits principaux de la situation présente : il faudrait un optimisme aveugle pour n’en être pas alarmé.

Le gouvernement dit et fait dire qu’en ce qui concerne le budget, le mal est superficiel. Nous sommes en déficit, soit ; mais ce déficit, qui dépassera cent millions à la fin de l’année, tient à des causes spéciales, d’une portée provisoire et restreinte, et non pas à des causes générales agissant d’une manière durable sur l’ensemble de nos finances. Il y a eu mécompte sur les boissons alcooliques, qui sont responsables de plus de la moitié du déficit, et sur les sucres, dont toute la législation a besoin d’être remaniée. Les moins-values sur les contributions directes sont beaucoup moins importantes, et on n’en parle guère que pour mémoire. Nous ne voulons pas entrer ici dans une discussion de détail ; elle n’y serait peut-être pas à sa place. Disons seulement que, si la loi sur les boissons est la grande coupable, elle est le fait du ministère actuel. Des voix nombreuses, pressantes, parfois éloquentes se sont élevées pour dire que la réforme était mal faite et qu’elle coûterait cher ; on ne les a pas écoutées. Le gouvernement se croyait sûr de ses calculs ; il en a répondu devant les Chambres, qui en ont répondu à leur tour devant le pays. L’expérience n’a pas tardé à montrer que cette confiance était trop optimiste. Il n’est d’ailleurs pas difficile d’indiquer la fissure par laquelle l’impôt fuit : c’est ce qu’on appelle le privilège des bouilleurs de cru. Il aurait fallu supprimer ce privilège, ou du moins le réduire à des limites très étroites : au lieu de cela, on l’a confirmé et développé. Les bouilleurs de cru sont légion aujourd’hui. La fabrication prétendue familiale de l’alcool donne lieu à des abus scandaleux. Tout le monde le sait, mais on y ferme obstinément les yeux dans les sphères ministérielles. On y présente même des chiffres d’où il semble résulter que les boissons dites hygiéniques ont pris presque partout la place des autres : la consommation de l’alcool aurait diminué dans une proportion considérable, grand bénéfice pour la santé publique. Si cela était vrai, on pourrait se consoler des moins-values budgétaires ; mais cela n’est pas vrai, et ceux qui sont au courant de ce qui se passe dans nos campagnes n’y ont pas constaté la moindre diminution dans la consommation de l’alcool. Seulement l’alcool se fabrique en fraude et il échappe à l’impôt. La santé publique n’y gagne rien, et le Trésor y perd beaucoup. On parle de remanier la législation sur les sucres, et on aura grandement raison de le faire, car une proportion toujours plus considérable de sucre raffiné est soustraite à l’impôt : pourquoi ne parle-t-on pas aussi de remanier la loi sur les boissons, qui aboutit