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tranquillement à Clagny, croyant déjà tenir le cardinal. Dans la suite, les rois descendaient par cette vis, quand ils venaient donner la chemise aux Dauphins le soir des noces ; ils arrivaient dans la chambre de la Dauphine par le boyau étranglé, par toutes ces catacombes ténébreuses. Le château est plein de ces contrastes : magnificence des appartemens de parade, exiguïté misérable et inimaginable incommodité des privés, des dégagemens. Ce détail matériel exprime bien la double vie de la monarchie. L’autre escalier mène aux cabinets de la reine Marie-Antoinette ; elle en usait pour descendre chez ses enfans. Des anneaux encore fixés dans le mur portaient deux mains courantes, la plus basse à hauteur d’appui d’un petit enfant : les menottes du Dauphin, Louis XVII, ont joué maintes fois avec ces anneaux.

Le grand cabinet aux six fenêtres a recueilli les portraits de Mesdames : elles font vis-à-vis aux bustes des encyclopédistes. Nattier a peint chacune délies sous deux aspects, en costume de cour, en divinité mythologique. Son art charmant a flatté toutes ces vieilles filles, Loque et Coche, Graille et Chiffe, aussi bien que, leurs deux aînées. Aucune d’elles n’était jolie, à en juger par des témoins plus véridiques, les médaillons de plâtre conservés à la bibliothèque de Versailles. Déjà, de leur vivant, les six filles de Louis XV « embarrassaient le château, » nous dit Barbier. Pour le débarrasser, on envoya les cadettes à l’abbaye de Fontevrault, où elles languirent douze ans, sans visites et sans lettres de leurs parens. Quand elles furent rappelées, en 1750, on les dispersa au rez-de-chaussée. Elles y vieillirent, encombrantes, brouillonnes, sujet de perpétuel gémissement pour les contrôleurs des finances. Les plus intrigantes grimpaient aux petits cabinets de leur père, s’escrimaient sans succès contre les favorites : elles se liguèrent ensuite contre leur pauvre nièce Marie-Antoinette. Les autres jouaient au cavagnole, comméraient, faisaient relier de beaux livres qu’elles lisaient peu ; portées de préférence sur leur bouche, s’il faut en croire d’Argenson : « Mesdames se mettent à table à minuit et se crèvent de vin et de viande. » Madame Louise alla au Carmel, où elle continua d’intriguer dans les choses de l’Eglise. A la Révolution, Mesdames Adélaïde et Victoire, les deux seules survivantes, se réfugièrent à Rome. Chassées de cet asile, talonnées par les soldats de Championnet jusqu’à la pointe de l’Italie, les fugitives se jetèrent dans un trabaccolo, errèrent longtemps sur l’Adriatique,